Girlpool

Forgiveness

Sortie le 29 avril 2022

ANTI-

La musique d’Avery Tucker et Harmony Tividad au sein de Girlpool recueille tous les suffrages de la critique depuis leurs années de lycée, lorsqu’on retrouvait les deux artistes dans les lieux de concert de Los Angeles, séchant les cours pour s’y produire avec leurs amis. Alors que Before The World Was Big, premier album au minimalisme radical, leur gagnait des fans bien au-delà de leurs cercles d’origine, les membres du duo goûtaient à la vie de la côte est des Etats-Unis, où ils continuaient de transcrire l’ambivalente beauté du déclin de l’adolescence en mélodies punk et indie pop. Leurs deux albums suivants, Powerplant et What Chaos Is Imaginary, sont des voyages dans le temps sonore qui retracent leur évolution de songwriters mais aussi d’êtres humains, se frayant un chemin dans le monde ensemble et chacun de son côté.

 

Il y a quelques années, Avery et Harmony sont retournés dans leur Los Angeles natale. Maintenant qu’ils ont passé la barre des 25 ans, ils commencent à comprendre ce que cela signifie de retrouver une fois adultes la métropole tentaculaire écrasée de soleil de leur jeunesse. Il se sont naturellement mis à faire des chansons aussi complexes et mystérieuses que les expériences qui ont façonné cette période tumultueuse de leur vie. Avec Forgiveness, Girlpool nous fait entrer en pleine weird pop, sans sacrifier la poésie qui rend leur musique si fascinante.

 

Comme ils l’avaient déjà fait pour What Chaos Is Imaginary, Harmony et Avery ont écrit les chansons de Forgiveness séparément, avant de se rejoindre pour travailler en commun à ce qu’elles traduisent au plus juste ce qui les excite et les inspire à présent. Ce processus les a menés à concevoir leur musique la plus fluide et la plus ambitieuse à ce jour, caractérisée par des provocations qui accompagnent tout en la densifiant une matière complexe dans les émotions qu’elle déploie. De par son mélange unique de chansons entraînantes et d’une musique festive absolument surréaliste, Forgiveness excède les contours flous du rock indépendant, comme un défi à tous les préjugés sur ce à quoi peut ou devrait ressembler un album de Girlpool.

 

Cette évolution se dévoile avec splendeur sur « Faultline », le premier single du nouvel album, d’une élégance folle. « Every week keeps slipping by / in this imitation paradise » (« Chaque semaine continue de filer / dans ce simulacre de paradis »), chante Harmony, voix d’ange sur un groove relaxant jusqu’au vertige. « Faultline » est une porte d’accès d’une efficacité redoutable sur le monde de Forgiveness, et pas uniquement par son allusion au paysage sismique qui sert de toile de fond à plusieurs chansons de l’album. L’idée d’enjamber les lignes de faille est l’une des clefs de Forgiveness. « Ces chansons explorent les frontières constamment en mouvement entre plusieurs concepts fondamentaux qui caractérisent notre humanité : la douleur et le plaisir, le sexe et l’amour, la réalité et l’illusion, l’insécurité et la confiance, le chagrin et la croissance. »

 

« Beaucoup de mes chansons sur ce disque parlent de dynamiques relationnelles au cours desquelles j’ai ressenti de la frustration et de la douleur, et de la difficulté à contenir la complexité de mes émotions, explique Avery. Ecrire Forgiveness m’a aidé à accepter l’idée que mon destin me pousse exactement là où je dois aller. » C’est pareil pour Harmony : « Le plus souvent, les expériences que je traverse me paraissent inévitables, renchérit-elle. Pour moi, Forgiveness parle de cette acceptation qui consiste à pardonner à la réalité de devoir être exactement ce qu’elle est tout le temps. »

 

Pour accompagner leur vision d’un son à la croisée du futurisme hollywoodien et de la sincérité post-grunge, Girlpool a fait appel au producteur Yves Rothman (Yves Tumor, Miya Folick). Malgré leurs échanges avec d’autres collaborateurs, c’est l’enthousiasme sincère de Rothman pour leur musique étrange, franche et solide qui a su faire la différence. Avec la contribution de Rothman sur Forgiveness, c’est la première fois qu’Harmony et Avery ont permis à quelqu’un d’être admis dans leur manière de créer quasi télépathique, – fusion toujours renouvelée même si leur musique a évolué.

 

Ils étaient tous d’accord pour l’atmosphère feutrée de « See Me Now », une ballade acoustique à la fin de l’album. Avery, qui a fait sa transition en 2018, y parle de son obsession à se comparer aux hommes cis, et le fait de se sentir parfois inadapté et paranoïaque. « When I was young / for a girl, I was tough / now I’m figuring out / how you see me now » (« Quand j’étais jeune / pour une fille, j’étais coriace / maintenant je me demande / comment tu me vois maintenant »), chante-t-il sur des accords de guitare chaleureux et tendres. S’il avait déjà exprimé sous une forme impressionniste de telles angoisses dans certaines de ses chansons, c’est la première fois qu’il évoque ce sujet sans ambiguïté. « Ça a été une vraie cure pour moi », explique-t-il dans un souffle authentique, brut, typiquement Girlpool.

 

Les points de rupture formels et thématiques explorés sur Forgiveness, ensemble de chansons écrites par deux artistes avec chacun son esprit et son cœur à lui, auraient pu donner lieu à un album décousu sans projet clairement défini. Entre les mains d’Avery et Harmony, cependant, ces lignes de faille génèrent plus de beauté que de tension, comme si dans le monde de Girlpool la tectonique des plaques n’était pas synonyme de désastre, mais marquait plutôt le début d’autre chose, délicieux et neuf. C’est un grand pas en avant pour deux des chroniqueurs de la vie et de l’amour les plus accomplis de cette génération.