Sports Team
“Il y a tellement d’histoires qui sont racontées chaque jour” dit Rob Knaggs, guitariste de Sports Team, en roulant sa cigarette d’une main. “Vous vous levez, regardez une vidéo des Oscars, puis vous allez sur le site du Guardian pour lire ce qu’il se passe en Ukraine avant d’aller sur Instagram pour voir un chien, puis l’anniversaire de quelqu’un et enfin que c’est la fête des mères. Il y a toutes ces images qui s’entrechoquent au point de devenir comme un brouhaha étrange qui tapisse votre vie en arrière plan”.
C’est cette combinaison – symbolisant l’absurdité de la vie moderne, entre morosité et humour – qui est au cœur de la réflexion de Gulp!, le très attendu second album de Sports Team, avec ses titres gonflés à bloc, au ton éternellement désabusé qui interrogent sans relâche: comment donner un sens à la vie? Nihilisme ou auto-destruction? On fête avec un dernier verre avant l’apocalypse? “Vous cherchez sans cesse un mode de vie auquel aspirer” confie Alex Rice, leader de la formation. “Je pense que beaucoup de gens sont confrontés à cela en ce moment: si vous êtes un jeune au Royaume-Uni en ce moment, à quoi accordez-vous de l’importance? Je pense qu’une grande partie de l’album traite de cela”.
Beaucoup de choses ont changé pour ces trublions, dignes héritiers de Pavement et Pulp, depuis leur entrée fracassante en 2020, avec un premier album Deep Down Happy nommé pour le prestigieux Mercury Prize. Un tournant pour le groupe, qui s’était déjà fait une belle réputation avec ses concerts déchaînés, ses jeunes fans plein de fougue et son sens aiguisé de l’espièglerie.
“La nomination au Mercury a tout changé,” confirme Alex Rice. “Nous avions toujours eu des fans plutôt jeunes. Nous étions perçus comme un groupe “de fêtards” sur scène, ce qui attirait un public qui tourne autour des 18 ans. Du coup, on vous met dans la catégorie “musique pas très sérieuse”. Mais la sélection au Mercury a ajouté un niveau de reconnaissance médiatique, comme si on était finalement acceptés”. Le groupe est “pris plus au sérieux” au lieu d’être simplement relégué au rang de groupe de “college rock” criard; bien que de leur point de vue rien n’ait changé, si ce n’est que chacun a pu quitter son travail et que le groupe s’est payé un tour bus.
Ils n’ont pas perdu une seconde après cela, se terrant dans des villes de fortune aux quatre coins du pays (Devon, Bath, le studio en sous sol du compositeur Rob à Margate) pour écrire, répéter et déverser tout le contenu qui formera Gulp!, épaulés à la production par David McCracken (The Stone Roses, Beyonce, Depeche Mode) et Burke Reid (Courtney Barnett, Julia Jacklin, DZ Deathrays). Comme pour leur premier projet, les titres naissent dans les mains de Rob qui écrit la plupart des textes “sur Logic avec sa guitare”, avant de les présenter à tout le groupe au studio de répétition. Alex fait alors évoluer les titres en ajoutant son charisme naturel plein de malice, transformant les maquettes en chansons de pop signées avec une bonne dose de cynisme et d’humour.
Alors que leur premier album abordait le train-train quotidien dans l’Angleterre moyenne des périphéries, Gulp! offre une toute autre perspective. Les membres du groupe ont tous quitté leur ville natale pour arpenter les routes et filer de concert en concert: la vie d’un groupe en somme. “On écrivait à propos de nos expériences, de la façon dont on avait grandi, la vingtaine en banlieue, ce genre de vie quoi – tout semblait encore nouveau à cette période pour nous” confie Rob à propos de l’univers du premier album. “Cela reflétait ce que nous faisions et ressentions à l’époque”. Le second album a été écrit après une période de changement et d’évolution intense, que ce soit pour le groupe, comme pour le monde autour d’eux.
Aussi cette collection de 10 titres, animés par une urgence indie rock, questionne nos modes de vie sans être excessivement optimiste ou ouvertement misérabiliste, mais en reflétant l’humeur de son époque avec une dose de nihilisme héritée de la pandémie (“Life is just a phase, like politics and leather / And hell’s the lie they sell, to make the sinning better,” lance Alex d’une voix traînante sur “Getting Better.” *). “On a vraiment eu l’impression d’être dans un cycle sans fin, avec que des choses atroces et c’était donc difficile d’écrire des chansons légères et ensoleillées alors qu’on ne faisait que voir des choses terribles” confie Rob. “Beaucoup de textes parlent de la vie et de la mort… Peu surprenant quand vous passez autant de temps enfermé, à ruminer seul avec vos pensées”.
Musicalement, Gulp! s’éloigne du son typique alt-rock américain de leurs débuts pour se parer d’émotions, de soupçons de XTC ou The Bangles et témoigner de leur obsession pour Bryan Ferry. Que ce soit avec ”Dig” au son circulaire si magnétique (sans référence au film du même nom), le très théâtral “The Drop” et ses accents pop (un clin d’oeil non déguisé à “Let’s Stick Together” de Bryan Ferry) ou le très morbide et pourtant dynamique titre post-punk “Getting Better”, Sports Team a su composer une bande originale pleine d’ironie pour accompagner la fin des temps. (“Sometimes what you fear never comes / And sometimes what you fear never leaves,” déclame Alex sur “Unstuck.”)**.
Ce pessimisme aussi chaotique que vigoureux n’est pas nouveau; c’est quelque chose que le groupe cultive avec talent depuis toujours et qui prend son essor sur scène. “Vous offrez un moment de plaisir à vos fans, pour qu’ils puissent s’amuser” précise le batteur Al Greenwood. “Je pense que c’est intéressant d’avoir des paroles plutôt cyniques mais qui résonnent comme un grand moment d’euphorie pour le public lorsqu’elles sont interprétées en plein soleil en festival. C’est quelque chose que nous avons gardé du premier album; nous tenions toujours à faire que chaque concert soit incroyable. C’est presque amusant de le faire d’une façon qui est plus sombre”.
Malgré ce regard cynique porté sur le monde qui l’entoure, les Sports Team n’en restent pas moins enthousiastes et pleins d’espoir à bien des égards. En plus d’une série de festivals estivaux à venir, “Cela peut paraître un brin mièvre et trop sincère, mais jouer dans un groupe procure un sentiment hors du commun” confie Alex. “Vous faites partie d’une véritable communauté, quelque chose qui vous dépasse et je n’avais jamais ressenti quelque chose comme cela auparavant. Vous entrez sur scène et passez cette soirée ensemble”.
Al acquiesce: “C’est physique, une véritable expérience vécue…On nous demande de faire toutes ces vidéos sur TikTok et il y a un tel fossé entre ce que nous voulons vraiment faire et les choses que vous devez faire. Alors que devant une personne sur scène pendant une à deux heures, vous sentez qu’il y a un véritable lien qui se forme, vous ne pouvez pas juste vous plonger dans votre téléphone et regarder des conneries”.
“C’est un truc très primal, d’être en concert” ajoute Alex. “il n’y a qu’une poignée de choses comparables encore dans ce monde. Je pense que c’est cette juxtaposition étrange qu’il y a dans cet album…Avez-vous trouvé cela bizarre, merveilleux, énergisant? Oui, ne serait-ce que pour une heure et le lendemain vous êtes totalement KO”.
Ndlr:
* La vie est juste une phase, comme la politique et le cuir / Et l’enfer est le mensonge qu’ils nous vendent, afin de rendre le péché meilleur
** Parfois vos peurs ne se matérialisent jamais / Et parfois vos peurs ne partent jamais