Oiseaux-Tempête
Pas tout à fait un collectif ni un groupe de musique conventionnel, Oiseaux-Tempête ressemble plutôt au noyau radioactif d’un atome dont le nuage d’électrons est en constante mutation. Au centre de ce projet brouilleur de pistes et de genres, le duo devenu trio de multi- instrumentistes Frédéric D. Oberland, Stéphane Pigneul et Mondkopf construit depuis près d’une décennie des dialogues entre sa propre réalité, son vocabulaire, et ceux de compagnons de route croisés aux quatre coins du planisphère. De leur trilogie méditerranéenne (S/T, ÜTOPIYA?, AL-‘AN!) à leur incartade au Canada avec le déferlant From Somewhere Invisible se dessinent des albums profondément instinctifs et nimbés de mystère, des lives fiévreux et incendiaires, punk dans leur urgence de raconter le monde en dynamitant les frontières de l’espace et du temps.
Après avoir signé la bande originale de l’envoûtant film tunisien Tlamess (Sortilège) d’Ala Eddine Slim en 2020, Oiseaux-Tempête nous immerge avec WHAT ON EARTH (Que Diable) dans un futur effondré. Carnet de route tendance psyché/psychologique, l’album réunit autour de Frédéric D. Oberland, Stéphane Pigneul, Mondkopf et Jean-Michel Pirès (Bruit Noir), les voix de Ben Shemie (SUUNS), G.W.Sok, Radwan Ghazi Moumneh (Jerusalem In My Heart) ou les cordes électriques de Jessica Moss (Thee Silver Mt. Zion). Si la réalité planétaire de 2022 ressemble à s’y méprendre à un mauvais spin-off d’une série pré/post-apocalyptique, ce nouveau disque de Oiseaux-Tempête nous convie à un autre genre de présent d’anticipation où les seules armes sont des poèmes scandés contre le vent. Ben Shemie ouvre la projection sur Black Elephant et donne le ton à cette danse magnétique. De sa voix modulée et processée, il distille son spoken-word en monstre robotico-sensuel sur une boucle de synthé modulaire traversée de beats cardiaques et de salves d’électricité, entre hip-hop futuriste et ritournelle bad-ass et addictive. Une introduction de circonstance au déluge sensoriel qui en découle et nous tient en haleine dans un grand désordre, à la fois urbain et aux paysages désertiques et ébranlés. Boîtes à rythmes, synthés analogiques, percussions, guitares, mellotron, flûte, saxophone, chants, rhodes, piano, violon et buzuk électriques s’animent dans une sorte d’esthétique du désastre, repoussant les murs du décor, à contre- courant de toute musique calibrée.
Des riffs mammouth de Partout Le Feu, progressivement épaissis par des textures sonores explosives et des sirènes sifflant l’alarme, on lévite sur Terminal Velocity, interlude minimaliste au visage crépusculaire que viennent bousculer les pulsations de l’hypnotique Voodoo Spinning puis l’appel du donjon The Crying Eye — I Forget, transe électro-mystique déployant ses philtres dans des douves troubles hantées par les psalmodies de Radwan Ghazi Moumneh. Le tempo s’accélère dans A Man Alone in a One Man Poem, réunion du corps et de l’esprit, d’une énergie mécanique et d’un souffle brûlant où se faufile le parlé-chanté de G.W.Sok, avant la traversée pastorale de Waldgänger et sa forêt de chimères électroniques. On danse Nu.es sous la Comète, chevauchés par le tourbillon de piano et la basse serpentant sur un bourdonnement drone pour atteindre le dénouement de cette vision prophétique dans Dôme, capté en live acoustique dans le complexe architectural abandonné d’Oscar Niemeyer au Liban. L’écho d’une dernière décharge avant l’effondrement.
Oiseaux-Tempête dévoile une nouvelle facette de sa mythologie à travers une œuvre dense qui charrie les ténèbres vers les lueurs du jour, qui gronde, s’apaise et s’échauffe à nouveau. Comme la silhouette d’un phare qui se révèle à mesure que son flambeau surgit et éclaire, la beauté puissante de WHAT ON EARTH (Que Diable) irradie dans un cosmos musical en expansion.