Chloe Gallardo
Née à Los Angeles dans une famille de musiciens, Chloe Gallardo a connu l’ambiance des studios d’enregistrement et des scènes ouvertes dès son plus jeune âge. Aussi loin que remontent ses souvenirs, elle a toujours eu l’ambition de faire de la musique. « J’avais toujours cette sensation dans la poitrine quand je voyais un artiste que j’aimais vraiment », explique-t-elle à propos de ses années de formation. « L’envie de faire comme eux se mêlait à la certitude que j’étais absolument capable d’y parvenir. Je n’arrive pas à me souvenir d’un seul instant où je n’aurais pas voulu faire ma propre musique. »
Après l’EP Hey Kid, qui a marqué ses débuts en 2017 alors qu’elle était encore adolescente, Gallardo a sorti une série de singles accomplis dans les années qui ont suivi, « Love Sick », « Fool’s Keeper » et « Rêveries Nocturnes ». Chacun de ces titres a rendu la perspective d’un album encore plus alléchante.
Avec son premier disque, Defamator, qui sort chez Taxi Gauche Records, c’est une œuvre audacieuse et pleine de maturité que nous propose Gallardo. Mélange exemplaire de « rock indé sombre inspiré du shoegaze », cet ensemble de dix titres fait voyager l’auditeur à travers un ensemble de récits en forme de mises en garde. Revenant en détail sur ses traumas familiaux et ses relations avec des partenaires violents, Defamator facilite l’écoute de ces thèmes éprouvants en les transcendant par des chansons calmes.
Le morceau d’ouverture, « Bloodline », illustre parfaitement cette ambivalence. Quinze secondes après le début de sa délicate mélodie acoustique, Gallardo lance sur un ton boudeur un catégorique « J’suis foutue” (“I’m fucked up”), dans une chanson qui explore le sentiment d’être une déception pour sa famille. Dans ce flot shoegaze qui rappelle Bachelor et Snailmail, on est saisi par une élégance absolue, qui voile la rage au cœur de la chanson. « J’ai toujours écrit ma musique de cette façon, explique-t-elle au sujet de cette contradiction fondamentale. C’est drôle, je fais tout pour écrire des chansons très sombres et au bout du compte elles sont toujours beaucoup trop mignonnes. Alors je compense avec des paroles qui sortent de mes tripes. »
Ecrites pour la plupart dans sa chambre durant le Covid (« on entend à quel point j’étais effrayée et seule »), les chansons de Defamator sont le fruit d’une guérison. S’inspirant des enseignements de la psychothérapie, le processus d’écriture a donné à l’artiste les moyens de canaliser des cicatrices émotionnelles profondes. « Lors des premières séances, mon thérapeute m’a proposé de laisser sortir ma colère contre ce qui m’est arrivé et la façon dont les gens m’ont traitée. Ça a vraiment débloqué quelque chose en moi. Donc cet album, c’est moi qui m’autorise à être en colère contre une poignée de personnes qui m’ont maltraitée dans la vie. »
Cette colère traverse l’album. Le titre – un néologisme inventé par l’artiste – utilise les idées de « diffamation » (“defamation”) et de « discours diffamatoire » (“defamatory speech”) pour inventer une nouvelle sorte d’accusation. On a ainsi l’impression d’écouter Gallardo prendre énergiquement le contrôle de son passé. « La chanson “Defamator”, explique-t-elle, parle de quelqu’un qui a dit des choses fausses sur moi afin de me manipuler et de manipuler la façon dont les gens me percevaient, et j’ai senti que c’était un thème sous-jacent de l’album entier. »
Enregistré au Jazzcats Studio de Long Beach, Californie, avec Jonny Bell, Defamator est une première pour Gallardo dans un « vrai studio d’enregistrement ». Et cela se sent. La production de Bell est cruciale ici. Il y a des chansons dépouillées, comme « There Will Be Blood » et « The Way », qui bouillonnent et ronronnent doucement comme la dream-pop spectrale de Grouper. La voix folk aérienne de Gallardo y est magnifiquement mise en avant, et les overdrives fortement atténués en arrière-plan, comme des cris étranglés. Puis viennent les pièces maîtresses de l’album, « New Jersey », « To See You Go » et « Last Dance », qui progressent tranquillement, dans une énergie purement shoegaze.
Entre ces deux extrêmes, il y a la douceur électro, les intermèdes abstraits, cet omnichord défectueux qui pourrait à peine survivre à une reprise de « God is Dead », mais qui capte la fracture à la perfection. Defamator s’inspire ici directement du Tender Buttons de Broadcast, sorti en 2005. Ce n’est pas une référence au hasard : l’ultime album de Broadcast, d’une beauté exceptionnelle, avait lui-même vu le jour en dépit de la tempête affective suscitée par la dissolution du groupe et le divorce.
Mais derrière tant de délicatesse, de nuances et de polissage, c’est la puissance d’écriture et l’engagement de Gallardo qui brillent le plus fort. « C’est assez bizarre de sortir ces chansons maintenant, confie-t-elle. J’étais si triste et brisée à ce moment-là, et maintenant ma vie est si différente. Mais je continue de penser qu’il est important de les sortir. Ces expériences ont fait de moi la personne que je suis, et peut-être que quelqu’un peut comprendre ce que j’ai écrit. »