Penguin Cafe

Rain Before Seven...

Sortie le 07 juillet 2023

Erased Tapes

Rain Before Seven…, cinquième album studio de Penguin Cafe, est empreint d’un optimisme dénué de fanfaronnade et de confiance excessive, un optimisme allègre et discret, typique du caractère britannique. Y compris lorsque tout porte à croire le contraire, il est traversé par la certitude que tout ira bien. Probablement.

 

Le titre provient d’un vieux dicton météorologique anglais – « beau avant onze heures » – laissant présager une fin heureuse, indépendamment de la réalité scientifique : « Je l’ai trouvé dans un livre, je ne l’avais jamais entendu, explique Arthur Jeffes, leader de Penguin Cafe. Il a une connotation optimiste, je l’aime bien. Il est tombé en désuétude de nos jours, mais il décrit bien les la météo anglaise qui nous vient de l’Atlantique. »

 

De la rêverie projetée en cinémascope par le morceau d’ouverture « Welcome to London », avec son clin d’œil mutin à Ennio Morricone, jusqu’à « Goldfinch Yodel », au dénouement de l’album, il y a un optimisme bien agréable, avec en constant filigrane l’exotisme de son exubérance rythmique. L’espièglerie est omniprésente, avec une référence à l’album A Matter of Life… de 2021, qui se terminait également en points de suspension… Ce premier album de Penguin Cafe faisait le lien entre le légendaire Penguin Cafe Orchestra, dirigé par Simon Jeffes, le père d’Arthur, et son héritier à succès, dirigé par Arthur.

 

« Formellement, il est très gratifiant de revenir à des rythmes et des instruments ludiques », explique Arthur, qui a gardé à l’esprit les débuts du groupe, il y a 12 ans, lors de l’écriture du nouvel album. « Quand j’ai commencé, je me suis rendu compte qu’on avait arrêté d’utiliser pas mal de textures qui étaient présentes au début, – et qui étaient certainement présentes dans les premiers morceaux de mon père. Il y a donc beaucoup de balafon et de textures provenant de parties du monde complètement différentes, sur un plan musical comme géographique : des ukulélés, des cuatros et des mélodicas. »

 

A l’écoute de Rain Before Seven…, il apparaît clairement que les thèmes explorés transcendent la simple conversation météo. Dans un sens, il s’agit d’un journal sonore griffonné sous le parapet, en attendant que le danger se dissipe. Jeffes, comme beaucoup, s’est retrouvé confiné en 2020. Le premier pays touché par le COVID-19 était l’Italie, où lui et sa famille séjournaient à l’époque dans un ancien couvent toscan, acheté il y a une douzaine d’années avec sa mère, la célèbre sculptrice Emily Young. Il y a sûrement pire pour une quarantaine qu’une enclave vallonnée couverte d’oliviers, même si la famille a été confrontée aux mêmes peurs et aux mêmes incertitudes que la plupart des gens.

 

C’est pourquoi les titres font souvent référence à l’expérience personnelle remontant à cette période. « Galahad » est une célébration triomphale du chien adoré d’Arthur, mort à l’âge de 16 ans, écrite dans une signature rythmique 15/8 irrépressible. « Lamborghini 754 » tire son nom du tracteur quarantenaire qu’il a acquis pour sa mère et qu’il pouvait voir depuis le studio alors qu’elle traversait l’oliveraie. Jeffes est le premier à reconnaître qu’il a eu la chance d’avoir de l’espace pour manœuvrer, un luxe qui a été refusé à des millions de personnes vivant dans les villes. En outre, le sort des citadins semblait étrangement coïncider avec une vision du père d’Arthur, à l’origine du Penguin Cafe Orchestra.

 

L’histoire est la suivante : en vacances dans le Sud de la France en 1972, Simon Jeffes a mangé un poisson douteux qui lui a causé des hallucinations : « Alors que j’étais couché dans mon lit, j’ai eu à plusieurs reprises une vision étrange, a-t-il raconté plus tard. Là, devant moi, se trouvait un bâtiment en béton, un genre d’hôtel ou d’immeuble. Je pouvais voir à l’intérieur les pièces, chacune d’entre elles étant continuellement balayée par un œil électronique. Dans les pièces, il y avait des gens, tous préoccupés… » Jeffes pouvait distinguer des « matériels électroniques. Mais tout était silencieux. Comme si tout le monde avait été neutralisé, rendu gris et anonyme. Pour moi, la scène était une désolation ordonnée. » L’antidote à cette prémonition d’un avenir étrangement familier fut le Penguin Cafe, un lieu « où l’inconscient peut exister en liberté. »

 

Simon Jeffes a adopté « une approche antiquaire légèrement excentrique » pour assembler sa musique, d’après Arthur, réutilisant des sons qui étaient sans conteste faciles d’écoute, – en réaction, peut-être, au sérieux des sérialistes de l’après-guerre, qui coïncidait avec l’essor du minimalisme. « Mais il aimait Boulez, ajoute Arthur, et John Cage aussi. Je pense que mon père estimait qu’il y avait beaucoup de sous-Cage qui n’avaient pas lieu d’être. » L’association de la musique classique, de la pop et des rythmes d’Afrique de l’Est n’est peut-être pas si remarquable à l’ère d’internet (et de la publicité, à laquelle le PCO n’a jamais répugné), mais dans les années 1970, ils ont trouvé leur place auprès du label Obscure de Brian Eno, en raison de la nature ésotérique de leur travail.

 

« Je pense que son approche originale consistait à prendre des idées intéressantes et bizarres et à en faire des choses étranges, explique Arthur, mais en veillant constamment à ce que le son soit beau et émouvant. » Cette philosophie s’est retrouvée dans le Penguin Cafe. « Ça a été notre engagement quand j’ai repris le projet, parce que nous jouons la musique de mon père, mais aussi une musique nouvelle située dans le même univers sonore. Je mets un point d’honneur à garder un œil sur le projet original tout en veillant à ce que nous ne nous engagions pas sur la voie du thrash metal. »

 

Néanmoins, sur les encouragements du coproducteur Robert Raths, les éléments rythmiques de Rain Before Seven… n’ont jamais été aussi présents et tutoient même parfois l’électronique. « Find Your Feet », par exemple, est soutenu par plus qu’une simple pulsation. Le mixage de Tom Chichester-Clark apporte au mélange musical une « sensation proche de l’électronique », comme la décrit Arthur. « Il y a des éléments amusants ici, ce que nous n’avons pas vraiment fait avec les trois derniers albums », ajoute-t-il avec enthousiasme. Autre moment fort et bouillonnant, « In Re Budd » est dédié au défunt parrain de l’ambient Harold Budd, dont Arthur a découvert qu’il était mort le jour où il écrivait ce morceau festif à la syncope faussement délicate. Joué sur un piano droit avec quelques feutres « préparés » pour accentuer le rebond, Jeffes se dit qu’un morceau aux effluves de café afro-cubain plairait à l’esprit de contradiction de Budd.

 

Et puis il y a le titre « Welcome to London », qui a trouvé son nom lorsque le monde a commencé à s’ouvrir et que les gens ont enfin été autorisés à voler à nouveau. Jeffes, lorsqu’il a atterri sur le sol britannique pour la première fois depuis longtemps, a été frappé par son aspect cinématographique à la John Barry, alors qu’il prenait un taxi pour se rendre dans l’Ouest de Londres depuis Heathrow, un somptueux crépuscule en toile de fond. L’optimisme est là, et peut-être un brin d’ironie caustique aussi. « Robert [Raths] a ajouté une couche de nuance que je trouve intéressante, car de nombreux Londoniens ne sont pas originaires de Londres. On arrive donc à Londres comme un étranger, on n’a pas encore trouvé sa tribu, on se fait agresser… et alors “Welcome to London” prend une résonance plus sarcastique. »