Slow Pulp

Yard

Sortie le 29 septembre 2023

ANTI-

Lorsque les membres de Slow Pulp évoquent Yard, leur deuxième album et le premier avec ANTI-, leurs mots font souvent appel aux sensations et aux synesthésies.

 

« Nous avons tellement de repères visuels quand on parle de musique, explique la chanteuse et guitariste Emily Massey à propos de la deuxième chanson de l’album, « Doubt », qu’elle rapproche du wakeboard. « Les paroles de “Doubt” sont plutôt sombres, mais l’environnement dépeint est optimiste et presque amusant. »

 

Sur Yard, le quatuor originaire du Wisconsin et basé à Chicago se niche confortablement dans des poches de nuances, d’impressions, de contradictions. Serties ensemble, sonorités et paroles y traduisent la tension propre à un sentiment sur lequel on n’avait jamais pu mettre les mots. A cet égard, écouter Slow Pulp peut donner l’impression d’être dans une pièce avec quelqu’un qui nous connaît depuis si longtemps, qu’il est capable d’interpréter nos plus infimes expressions et de déterminer avant nous exactement ce qu’on ressent. Cela provient peut-être de l’histoire et de l’alchimie que partagent les quatre membres du groupe, qui ont grandi – et continuent de grandir – ensemble.

 

Le guitariste Henry Stoehr et le batteur Teddy Mathews ont fréquenté la même école primaire à Madison. Peu de temps après, ils ont rencontré le bassiste Alex Leeds au sein du même cours de musique. Bien que Massey n’ait rejoint le groupe que plus tard, à l’université de Wisconsin-Madison, où elle a rencontré Mathews et Stoehr, il se trouve qu’elle avait fréquenté le même cours de musique, mais à l’autre bout de la ville. En fait, les accords de « Slugs », le titre addictif de Yard, proviennent d’une chanson que Stoehr avait écrite pour son amoureuse de 6ème. « Imagination », se remémore instantanément Mathews en citant le nom de la chanson originale de Stoehr. Dans l’album, la nouvelle version de la chanson parle également d’amour : “You’re a summer hit, I’m singing it” (« T’es le tube de l’été, je le chante »), se pâme Massey sur une vague chaude de fuzz et de voix sirupeuses.

 

Pendant que Leeds était à l’université à Minneapolis et les autres membres du groupe à Madison, le quatuor a commencé à enregistrer, à donner des concerts dans le Midwest, et a finalement sorti son premier EP, EP2, en 2017. 17 minutes intimistes, agitées et résolument lo-fi, réalisées par un groupe au don évident pour créer des accroches marquantes, qui trottent dans la tête longtemps après que les chansons sont terminées. L’évidence était telle que, sans grande promotion de la part du groupe, EP2 a tracé sa route sur les chaînes YouTube et les blogs, et grâce au pouvoir d’Internet, Slow Pulp s’est retrouvé de manière inattendue au cœur de son premier buzz.

 

En septembre 2018, les membres du groupe sont partis vivre à Chicago, où ils ont emménagé ensemble, écrivant et enregistrant la majeure partie de leur EP Big Day dans un chalet du Michigan au mois de janvier qui a suivi. Au fil des heures passées sur scène et en studio, le buzz n’a cessé de s’amplifier, ils ont continué à affiner leur travail et, en 2019, ils étaient en tournée avec Alex G et travaillaient sur leur premier album, Moveys.

 

Mais le voyage vers Yard n’a pas été un long fleuve tranquille : Massey a attrapé la maladie de Lyme et une mononucléose chronique, et elle s’est retrouvée aux prises avec des défis physique et psychiques en plein milieu d’une carrière musicale florissante et des exigences qui vont avec. Puis, quelques jours avant le premier confinement dû au COVID, ses parents ont été victimes d’un grave accident de voiture, et elle s’est éloignée de Slow Pulp pour retourner chez elle afin de s’occuper d’eux. Le groupe a terminé Moveys à distance, – Emily a enregistré ses paroles avec son père, Michael, dans son petit studio à lui. C’était leur seule option à ce moment-là, mais le groupe a choisi d’enregistrer de nouveau les paroles avec Michael pour Yard.

 

« Cette fois, on a décidé de le faire parce que ça s’était très bien passé la première fois. Mon père est musicien et chanteur, et il a beaucoup de choses très perspicaces à dire, en particulier sur l’articulation et le débit, explique Massey. En travaillant ensemble, nous pouvons être très honnêtes l’un envers l’autre. Je n’en serais pas capable de cette façon avec un étranger ou un producteur qui n’est pas de ma famille. Il connaît déjà très bien le contexte des chansons, puisqu’il me connaît de manière très intime. Il sait être très direct, et dire des choses que je n’ai généralement pas envie d’entendre mais que j’ai besoin d’entendre. Ça me permet de donner le meilleur de moi. »

 

On sent que Massey atteint de nouveaux sommets vocaux sur Yard, en particulier sur l’émouvante ballade americana « Broadview », qui fait appel à la pedal steel (Peter Briggs), à l’harmonica et au banjo (Willie Christianson), et sur « MUD », un morceau pop-punk qui semble avoir été conçu dans un laboratoire pour être repris en chœur dans la voiture. Sur la chanson titre, une ballade à vif au piano, l’émotion surgit de chacun de ses mots si soignés, se transformant en ondes gémissantes.

 

La collaboration avec le père de Massey n’a pas été l’unique leçon tirée de Moveys que le groupe a apportée au nouvel album. Yard a commencé à prendre forme en février 2022, alors que Massey était seule dans le chalet familial d’un ami, dans le nord du Wisconsin.

 

« J’ai l’impression qu’il y a une interaction intéressante entre les deux albums : alors que l’isolement pendant Moveys était forcé, c’est quelque chose que nous avons utilisé intentionnellement pour Yard », explique Leeds. L’isolement a joué une part importante dans l’élaboration de Yard, mais cette fois l’usage en a été stratégique. « Ce que nous avons découvert, ou ce qu’Emily a découvert, c’est qu’il est très important de prendre le temps de s’isoler intentionnellement, tout comme il est important d’être dans une dynamique plus collaborative à d’autres moments. On a beaucoup appris sur l’équilibre et l’intentionnalité à travers ce processus. »

 

Le thème de l’isolement, et ce qu’il induit comme travail pour être à l’aise avec soi-même dans ces conditions, se manifestent tout au long de Yard, au même titre que l’importance d’apprendre à faire confiance aux autres, à les aimer et à s’appuyer sur eux. Au sein de Slow Pulp, cette confiance entre les membres est évidente, dans la collaboration ludique qui est au cœur du processus créatif du groupe. Par exemple dans le premier morceau, « Gone 2 », le chiffre 2 a été ajouté quand ils ont décidé d’abandonner la première version et d’en enregistrer une nouvelle avant les balances. Ils ont vu le clip de « Scar Tissue » des Red Hot Chili Peppers (en sourdine) et ont immédiatement su que les images correspondaient exactement à ce qu’ils voulaient pour la chanson.

 

« C’était une chanson gris argenté et on en a fait une chanson marron et violette », explique Stoehr. La désolation du désert mêlée au road-trip apathique du clip de « Scar Tissue » imprègnent le mixage final et les paroles de « Gone 2 ».

 

« Gone 2 » parle de la recherche de l’amour chez les autres ou de l’impression qu’on ne fait pas tout ce qu’on peut pour, ou qu’on arrive trop tard », explique Massey. Il est suivi par « Doubt », un morceau sur le fait de supplier quelqu’un de valider nos insécurités. « J’aime le fait qu’à la fin de l’album, on trouve l’amour en soi, et non en le cherchant chez les autres. La boucle est bouclée, de cette façon. »

 

Les paroles de la dernière chanson de l’album, « Fishes », ont été écrites alors que Massey était seule dans le chalet, à écouter Lucinda Williams (“Do you think Lucy understands ?”, « Penses-tu que Lucy comprenne ? ») et à regarder les poissons nager dans le lac. Yard nous dit au revoir sur de douces cordes et une méditation dépouillée sur l’acceptation, tout en nous rappelant de nous montrer à la hauteur : “Sink and swim and / Sink it all again / I’ve gotta catch myself this time / Like I know that I’m the prize / Like the fishes / And their winning size” (« Couler et nager et / Couler entièrement à nouveau / Je dois me rattraper cette fois / Comme je sais que je suis la récompense / Comme les poissons / Et leur taille victorieuse »).