King Gizzard & The Lizard Wizard
Pour King Gizzard And The Lizard Wizard, il n’est pas d’ultime frontière. En dix années d’odyssée musicale, le sextuor australien s’est emparé de genres aussi divers que le rock turc, le krautrock, le thrash-metal, le folk bucolique, le funk originel, un son garage déglingué et même un hip-hop déjanté, en les tordant à sa guise. Au moment où leur 25ème disque pointe le bout de son nez, quelle sera la prochaine étape pour le groupe le plus agité, le plus inventif et le plus joyeusement insatiable du monde ? La réponse nous est soufflée par la pochette de cet album, The Silver Cord, qui représente les six artistes entourés de synthétiseurs de toutes les formes et de toutes les époques. C’est en effet sur cet album que ce groupe de rock parmi les plus excitants qui soient s’est mis à la musique électronique.
Tout a commencé avec une antique batterie électronique, achetée sur un coup de tête par le maître du rythme à la folle tignasse de Gizz, Michael « Cavs » Cavanagh. La batterie Simmons est une relique emblématique du futurisme des années 80, on reconnaît instantanément ses pads octogonaux dans les clips de l’époque. « La batterie Simmons est complètement dingue », résume Stu Mackenzie, le chanteur et guitariste de Gizzard, le sourire aux lèvres. « Elle possède un petit cerveau “électronique” sur lequel se branchent tous les pads de batterie, et bien que les sons qu’elle produit soient assez rudimentaires, on a vite décidé de l’utiliser pour le nouvel album. On a installé le kit Simmons de Cavs au milieu de la pièce, on a apporté tous les synthés qu’on avait dans l’espace de répétition ou qui traînaient chez nous jusqu’au studio, et puis on a branché tout ça. C’était chaotique. Pour être honnête, c’est probablement le studio le plus cool qu’on n’ait jamais eu. »
Les vieux fans de Gizz savent que The Silver Cord n’est pas la première incursion du groupe dans le monde des câbles, des oscillateurs et des gadgets : en 2021, Butterfly 3000 (leur 18ème album) était centré sur des synthétiseurs modulaires vintage et des arpégiateurs récupérés dans les brocantes du monde entier au cours de leurs voyages. Mais la suite pop progressive en feu de cet album était le fruit d’une nécessité, Gizz utilisant cette technologie comme moyen de créer un album alors qu’ils étaient séparés les uns des autres durant le Covid.
The Silver Cord, en revanche, est un album qui embrasse à plein et de façon délibérée le matériel électronique et, en réalité, la musique électronique en tant que telle. Il va sans dire que Kraftwerk a influencé l’album, comme pour tout artiste qui s’empare d’un synthétiseur. Le travail du compositeur, producteur et pionnier du synthétiseur italien Giorgio Moroder constitue toutefois une référence plus nette, en particulier ses collaborations avec Donna Summer, quand les hymnes disco canalisaient leur inspiration motorik et calaient leurs grooves en fusion sur le cœur du soleil.
Et c’est là que The Silver Cord fait quelque chose qu’aucun album de King Gizzard n’a jamais tenté auparavant, – devenir un album à la personnalité fractionnée et aux possibilités divergentes. Car The Silver Cord sera disponible en deux versions. Dans la première, d’essence pop, les accroches et les refrains respectent les formes traditionnelles de la chanson. La seconde version de l’album, quant à elle, bouscule les règles du tube pop de trois minutes typique et laisse libre cours à des jams cyborg. The Silver Cord – « Extended Mix » étire au maximum les liens entre chaque morceau, Gizz y est son propre remixeur disco et explore les possibilités infinies contenues dans ces hymnes futuristes étendus, les transformant en épopées étonnantes et sans équivalent dans le vaste catalogue du groupe.
« La première version est vraiment condensée, tout le gras est supprimé, explique Mackenzie. Dans la deuxième version, la première chanson, « Theia », dure 20 minutes. C’est la version “totale”, – les sept chansons déjà entendues sur la première version, mais avec tout un tas d’autres trucs enregistrés pendant la création. C’est pour les purs et durs. J’adore les disques de Donna Summer avec Giorgio Moroder, et je n’écouterais plus les versions courtes maintenant. Je fais partie de ces gens qui veulent tout entendre. Nous testons les limites de la capacité d’attention des gens quand ils écoutent de la musique, peut-être, – mais je suis très intéressé par la destruction de ces concepts. »
Le groupe a abordé l’écriture de The Silver Cord dans le même élan d’improvisation que pour son album jumeau, l’épopée thrash PetroDragonic Apocalypse, et l’album précédent Ice, Death, Planets, Lungs, Mushrooms And Lava. Chaque jour, Gizz entrait en studio et improvisait de zéro, en façonnant les chansons à partir d’inspirations collectives, à la volée. La différence avec ces deux albums résidant bien sûr dans le matériel utilisé et les influences. « Nous abordons la musique électronique sous l’angle de l’amateurisme, reconnaît Mackenzie. Je joue du synthétiseur Juno comme d’une guitare, je ne sais pas vraiment en jouer. Mais je voulais être en paix avec le fait qu’on soit ce groupe de rock qui prétend savoir utiliser les synthétiseurs modulaires. Nous sommes dans des zones non cartographiées, nous sommes en pleine mer, mais à force de ténacité, nous sommes arrivés à un résultat qui nous satisfait vraiment. »
Si la musique futuriste de The Silver Cord est composée et interprétée à l’aide d’une technologie d’origine humaine, les thèmes qu’abordent l’album tendent vers ce qui échappe à l’homme : le mystique, l’infini et le magique. « On est en pleine métaphysique », explique Mackenzie, à propos de cet album qui aborde des thèmes tels que l’esprit, la vie et la mort, les mythes et les dieux anciens, la méditation et le voyage astral. Je voulais établir de multiples liens très variés. »
La fusion entre ces thèmes essentiels et une musique menant le groupe avec audace à l’abordage de nouveaux territoires, voilà exactement le genre d’entreprise risquée qui définit le cœur de métier de Gizz. Leur mépris cavalier pour les filets de sécurité et les zones de confort les caractérise profondément, et cela donne lieu à une musique toujours plus novatrice. « C’est libérateur de se terrifier soi-même, s’amuse Mackenzie. Je crois vraiment à cette philosophie. Ça a toujours été dans notre sang. C’est quelque chose que nous avons toujours fait, en nous mettant dans une position où le cortisol entre en jeu, en nous poussant du pont et en nous forçant à nager. Peut-être que nous avons en nous le gène de la recherche de sensations fortes ou quelque chose dans le genre. C’est vraiment l’idée que je me fais du plaisir. »