Mount Kimbie
Il est parfois nécessaire d’aller là où le ciel est plus grand. Quand une immense couverture bleue se déploie au-dessus de soi sur des kilomètres, et qu’on peut fixer des heures durant un horizon lisse. Pas d’immeubles. Pas de panneaux publicitaires qui s’accrochent aux formations nuageuses. Rien que du vide, sans fin, enveloppant, dans lequel on peut à la fois se perdre et se retrouver. C’est sous un tel ciel qu’est né The Sunset Violent, l’ambitieux quatrième album de Mount Kimbie (Dominic Maker, Kai Campos, Andrea Balency-Béarn et Marc Pell). Cet album est aussi grandiose, libre et mobile qu’un rêve, plein de poèmes surréalistes sur des plages chinoises et des cuisines en feu. Où aurait-il pu être réalisé, si ce n’est dans une ville poussiéreuse qui ressemble à la surface de la Lune ? Là où les cigales chantent, où les cactus sortent de terre et où, d’un porche au crépuscule, c’est comme si on assistait à la mort de l’univers ?
The Sunset Violent a vu le jour dans une maison des jeunes désaffectée de la Yucca Valley américaine. Dominic Maker et Kai Campos, les membres fondateurs de Kimbie, vivent aujourd’hui à des lieues l’un de l’autre. Dominic Maker habite à Los Angeles, où il jongle entre ses engagements avec Mount Kimbie et les sessions d’écriture pour des artistes comme James Blake, Travis Scott, Arlo Parks et Flume. Kai Campos, quant à lui, vit à Londres, où ses DJ sets ont été largement acclamés. Pour le duo, quand le moment est venu de commencer à travailler sur un nouvel album de Kimbie (leur premier véritable album ensemble depuis Love What Survives en 2017), la décision a été prise de se rendre dans une ville californienne loin de tout. Campos et Maker se sont installés durant un mois dans une ville qui n’avait pas grand-chose à offrir, si ce n’est quelques saloons, un bassin où auraient été observés des ovnis et, affaire encore plus insoluble, un restaurant de sushis pas mal, planté au milieu de nulle part dans le désert.
C’est là qu’ils ont commencé à travailler sur un album puisant dans des plaisirs éclectiques : les nouvelles de Roald Dahl se sont incarnées dans les paroles de Maker sur sa vie personnelle récente, « chaotique, en dents de scie » ; les stations de radio country locales et la la sincérité qui en émane ont eu une influence sur les mélodies du duo. Campos a quant à lui utilisé sa guitare comme jamais auparavant avec le groupe. L’instrument, s’il a toujours eu sa place dans la trame sonore de Kimbie, a cette fois été autorisé à ouvrir la voie, jusqu’à occuper une place constante dans le disque, aux côtés de ses rythmes LinnDrum. Le groupe a fait le choix pour cet album d’utiliser exclusivement cette boîte à rythmes des années 1980, à la recherche d’un son plus linéaire.
L’album, achevé à Londres avec Dillip Harris, ami de longue date, et leurs compagnons de route Balency-Béarn et Pell, offre 37 minutes d’audace et de joie contagieuse. « Shipwreck » est la complainte indie rock de quelqu’un de perdu affectivement. « Got Me » est une fantaisie électronique chatoyante guidée par le piano. King Krule, leur fidèle collaborateur, intervient sur deux morceaux, « Boxing », un slow sonore qui lorgne vers le shoegaze, et « Empty and Silent », un spectacle enjoué à la Joy Division. Et puis il y a la puissance de « Dumb Guitar » et « Fishbrain ».
Comment cet album peut-il être à la fois le plus audacieux et le plus contagieux de Kimbie ? C’est qu’il est tout en paradoxes, jusqu’à son titre évocateur. The Sunset Violent : dans ces mots au style kubrickien se croisent le coucher de soleil et la violence. Cela peut évoquer la crise climatique, et une nature au seuil de nous réduire en cendres. Il peut également s’agir d’une réflexion sur le chemin parcouru par le groupe jusqu’à maintenant : deux créateurs observant de loin la scène post-dubstep londonienne qui les a vus exploser il y a une décennie et demie, et s’émerveillant de la violente éruption de post-punk électronique qui l’a remplacée.
Un coucher de soleil peut faire penser à une fin, lorsque le jour s’assombrit jusqu’à se fondre dans l’obscurité. Sur The Sunset Violent, un album qui marque les quinze ans de Mount Kimbie, il est clair que l’étincelle créatrice du groupe n’est en aucun cas à son terme. Parfois, il faut aller là où le ciel est plus vaste. Mount Kimbie nous y emmène, – sur son porche lunaire, d’où tout devient visible.