bdrmm
« Je pense que c’est la meilleure chose qu’on ait jamais faite. C’est un vrai pas en avant ». Ryan Smith
Il est immédiatement clair que le groupe de Hull, au nord-est de l’Angleterre, également composé de Joe Vickers, Jordan Smith et Conor Murray, a innové avec Microtonic, son nouvel album à paraître le 28 février 2025. Comme le souligne Ryan Smith à juste titre, c’est l’œuvre la plus aboutie, la plus complète et la plus importante du groupe à ce jour. « Le précédent album était essentiellement comme un pont avec le suivant », explique Joe Vickers à propos de I Don’t Know, sorti en 2023. « Avec cet album, nous savions ce que nous voulions faire, mais avec le nouveau, nous avons complètement réussi. »
Il s’agit incontestablement d’une avancée audacieuse pour le groupe, qui a embrassé un spectre plus complet de sons, de tonalités et d’atmosphères. « Je me sentais très contraint d’écrire un certain type de musique pour correspondre au genre [pour lequel nous étions connus], mais quelque chose s’est levé et je me suis senti plus libre de créer ce que je voulais, explique Ryan Smith. Et ce que je semble faire en ce moment, c’est beaucoup de musique électronique, – en m’inspirant de différentes formes d’electronica, de la dance music à l’ambient en passant par l’expérimental. »
Le son caractéristique de bdrmm n’a pas complètement disparu, loin de là. On trouve toujours de superbes couches de guitares qui s’imbriquent parfaitement avec la basse ronronnante et la batterie écrasante pour créer des vagues à vous engloutir, mais elles sont désormais intégrées dans une palette sonore plus large et plus variée. Prenons par exemple ‘Infinity Peaking’, un morceau émouvant qui passe gracieusement du post-rock au shoegaze pour aboutir à un groove serein et hypnotique, balayé de synthétiseurs. « Vous pouvez vraiment sentir le processus complet d’utilisation des guitares et des synthétiseurs pour créer ce nouveau son », explique Jordan Smith à propos de cette chanson.
C’est un morceau de musique d’une fougue dingue, à la fois euphorique et mélancolique, le genre de morceau que l’on pourrait imaginer entendre sur une île des Baléares, alors que le soleil se lève sur une piste de danse en plein air. Cela prend tout son sens lorsqu’on découvre les origines de la chanson. « Les premières démos que j’ai écrites c’était à Malaga, raconte Ryan. C’était vraiment bizarre d’écrire de la musique dans un endroit aussi beau et pittoresque. Ça a vraiment nourri certaines chansons comme ‘Infinity Peaking’, qui ont été écrites assis en pleine chaleur. C’était tellement libérateur de pouvoir écrire dans un endroit qui n’était pas une chambre miteuse. »
La décision de bdrmm d’embrasser de nouveaux sons a également orienté le groupe vers de nouveaux collaborateurs, Sydney Minksy Sargeant du Working Men’s Club, et Olive Rees alias Olivesque (Nightbus), tous deux présents sur l’album. En fait, le groupe a pris un autre virage en faisant chanter Minksy Sargeant sur ‘goit’, le morceau d’ouverture. « Nous avons pensé qu’il serait assez désarmant que quelqu’un d’autre que Ryan chante sur la première chanson », explique Jordan. Le résultat qu’ils ont obtenu est un morceau sombre et presque inquiétant de dance déconstruite, qui donne le ton pour la suite.
« L’album entier a une thématique plutôt dystopique », explique Ryan. Depuis les confinements, je n’ai pas l’impression d’être le même. Je pense que c’est le cas de tout le monde. La quantité de stress qui a tout envahi, c’est comme dans un épisode de Black Mirror. Nous avons donné pour instruction à Syd de faire en sorte que le son soit le plus lynchien possible, – comme si on était en train de raconter Eraserhead. »
Parmi les autres thèmes qui parcourent l’album, on trouve des idées sur les souvenirs déformés et oubliés, ainsi que l’hantologie, dans le sillage de l’écrivain et philosophe britannique Mark Fisher. « Ses idées sur l’absence d’avenir correspondaient vraiment à ce que Ryan chantait au même moment », explique Jordan. Pour le titre ‘In The Electric Field’ d’Olivesque, le groupe avait en tête le morceau ‘Teardrop’ de Massive Attack et a donc choisi d’utiliser une voix féminine pour contrer la pulsation sombre et lente du morceau.
Leur apparition en première partie de Daniel Avery, ainsi qu’un voyage à Field Day pour une rave collective, ont été des moments déterminants dans la décision du groupe d’incorporer plus d’éléments dance. Cependant, il ne s’agit pas d’une décision prise sur un coup de tête. C’est quelque chose qu’ils voulaient faire depuis des années, mais ils n’avaient peut-être pas la confiance ou le savoir-faire nécessaires jusque-là. ‘John on the Ceiling’ est en réalité l’une des plus anciennes chansons du groupe. « Je l’ai écrite quand j’avais 18 ans et elle est donc antérieure au premier album », explique Jordan. Elle n’avait pas vraiment trouvé sa place avant, mais le rythme à la fois dynamique et mélodique du morceau « a jeté les bases de la façon dont nous avons abordé les autres morceaux de l’album, et a créé un précédent dans notre façon d’aborder l’écriture des chansons ».
Cette approche de l’écriture privilégie en profondeur la collaboration. Abandonnant l’approche typique des jams en studio, le groupe, ainsi que le producteur de longue date Alex Greaves, apportent tous leur contribution à distance à une chanson et la construisent entre eux. « C’est beaucoup plus du copier-coller que de l’écriture traditionnelle, explique Jordan. Notre approche est beaucoup plus abstraite ». Pour Ryan, cela a complètement changé la donne. « Quand on écrit une démo, on y attache beaucoup d’importance, dit-il. Mais se détacher de ça et passer totalement en mode collaboration, ça ouvre complètement les choses. La beauté de la collaboration, c’est que quelqu’un ajoutera un truc auquel on n’aura même pas pensé, et ça changera complètement l’enregistrement. S’ouvrir à cette vulnérabilité apporte tellement de positivité. C’est génial d’avoir un disque où tout le monde a été impliqué ».
L’album qui en découle déborde de vie et de vivacité. C’est encore plus criant sur des morceaux comme ‘Lake Disappointment’, mélange de sons débridés et de basses qui reste imprévisible car il rebondit d’un genre à l’autre avec une tranquillité étourdissante. « Il est sorti de nulle part, mais je pense qu’il est devenu l’un de nos morceaux les plus forts, confie Ryan. C’est le dernier morceau qui a été écrit pour l’album et c’est la première fois que j’ai vraiment écrit quelque chose sur la basse. J’ai dû écouter les solos de Thom Yorke, je crois, et j’ai mis une distorsion sur la basse, puis j’ai trouvé ce riff principal et je me suis dit : purée il se passe un truc. À partir de là, ça a décollé ». On entend également la touche Yorke sur le piquant et contagieux ‘Snares’ et sa programmation de batterie grandiose.
Microtonic est le son d’un groupe en confiance et à l’aise, et qui utilise cet état d’esprit pour se lancer dans l’inconnu plutôt que de se reposer sur ses lauriers. C’est un album ambitieux, d’une grande portée, qui fourmille d’idées, mais qui est aussi très cohérent. C’est le son d’un groupe qui est lui-même dans sa forme la plus pure, conclut Ryan : « Je pense que nous sommes passés d’une situation où les gens disaient qu’on ressemblait à d’autres groupes, à une situation où les gens peuvent dire : voilà à quoi ressemble le son de bdrmm. C’est la véritable expression de ce que nous sommes ».