King Gizzard & The Lizard Wizard

Phantom Island

Sortie le 13 juin 2025

p(doom) records

Si vous redoutiez qu’après quinze ans de carrière et vingt-six albums, les voyageurs psychédéliques polymorphes de King Gizzard & The Lizard Wizard aient épuisé toutes les frontières à franchir, tous les concepts à explorer ou toutes les manières de réinventer leur propre paradigme musical, laissez leur dernier opus dissiper vos doutes. Avec Phantom Island, leur vingt-septième album, le groupe ajoute une nouvelle dimension à son art en constante métamorphose, adoptant une approche symphonique et enrichissant ses entrelacs de riffs et de mélodies lysergiques de cordes, de cors et de bois.

 

« Parfois, il faut savoir s’ouvrir à l’univers », confie Stu Mackenzie, chanteur et guitariste, évoquant le rôle du hasard dans la genèse de Phantom Island. L’idée a germé à l’issue d’un concert désormais légendaire donné au Hollywood Bowl en juin 2023. Ce lieu mythique, fief de l’Orchestre philharmonique de Los Angeles, a vu les Gizz échanger quelques mots en coulisses avec certains de ses membres. « Ils nous ont dit : “Vous devriez participer à notre série annuelle où l’on accompagne des groupes de rock et de pop. On pourrait jouer avec vous pendant un concert de Gizz !” Et tout est parti de là… »

 

La graine était plantée. En 2024, le groupe se retrouve dans son quartier général, branché sur de petits amplis d’entraînement, livrant un rock effervescent. De ces sessions naîtront Flight b741, un recueil de dix morceaux de rock’n’roll spontanés, laissant de côté leur habituelle approche conceptuelle au profit de chansons plus directes, à l’énergie communicative. Mais dix autres morceaux issus des mêmes sessions n’avaient pas trouvé leur place dans l’ambiance de Flight b741. Plus complexes, ils nécessitaient, selon Mackenzie, « davantage de temps, d’espace et de réflexion ».

 

C’est alors que l’idée d’une collaboration avec l’Orchestre philharmonique de Los Angeles a ressurgi. « Ces chansons avaient besoin d’une autre énergie, d’une couleur différente à apposer sur la toile », explique Mackenzie. Il a donc fait appel à son ami Chad Kelly, claviériste, chef d’orchestre et arrangeur britannique établi en Australie. « Il vient du monde de l’opéra et des orchestres classiques, avec une connaissance immense de la musique ancienne. Chad et moi avons des échanges passionnants. Nous venons de mondes radicalement opposés : lui joue du Mozart sur des clavecins accordés comme à l’époque, et moi je suis obsédé par la microtonalité et tout un tas de bizarreries techniques. »

 

Mackenzie lui envoie alors les enregistrements bruts des dix titres en suspens. Kelly se met à la tâche, écrivant des arrangements symphoniques sur mesure. « Le processus a été long », raconte Mackenzie. « Chad m’envoyait des partitions que je ne pouvais pas lire, des fichiers MIDI que je ne pouvais pas exploiter [rires]. On lui a fait entièrement confiance. Il connaissait notre univers et savait où nous voulions aller. »

 

Une fois les arrangements terminés, le groupe rejoint les musiciens sélectionnés par Kelly en studio. En écoutant au casque, ils intègrent les parties orchestrales aux morceaux existants. « On ne savait pas qu’on aurait un orchestre en plus pendant l’enregistrement », confie Mackenzie. « Si on l’avait su, ça aurait sans doute modifié notre manière de composer. Mais on a abordé le projet avec liberté et décontraction. Les morceaux sont nés dans l’instant, souvent à partir d’improvisations ou de prises multiples. » Fusionner les éléments symphoniques avec le rock brut du groupe fut un véritable défi – exactement le genre que les Gizzard aiment relever. Mackenzie ressort alors son vieux Tascam Syncaset 8 pistes, déjà utilisé pour le mixage de Flight b741, et se lance dans l’assemblage. Le résultat est saisissant : « On a l’impression d’être dans la même pièce que le groupe et l’orchestre, comme si tout le monde jouait ensemble », dit-il avec un sourire.

 

Et quelle magie ils ont capturée. Phantom Island conserve l’énergie décontractée et le côté jam de Flight b741, mais gagne en sophistication mélodique et structurelle, puisant dans la power-pop et le soft rock des années 70. Le processus d’écriture collective se poursuit : les chansons émergent en studio, les paroles et les voix sont enregistrées à la volée, les six membres se relayant au micro pour tisser des récits farfelus.

 

Si Flight b741 racontait des aventures chaotiques, Phantom Island poursuit l’épopée dans les étoiles. Mais l’album se montre plus introspectif, plus mélancolique, plus « introverti », selon Mackenzie. Les chansons, tout en évoquant des périples intergalactiques, explorent surtout l’univers intérieur des personnages. Des titres comme ‘Silent Spirit’, ‘Spacesick’ aux accents beatlesques, ‘Eternal Return’ ou encore ‘Lonely Cosmos’ insufflent une profondeur émotionnelle nouvelle, marquant la maturité du groupe après quinze années de tournées et de vie nomade. On découvre un Gizzard plus sage, plus posé, conscient de sa place dans l’univers et des liens qui l’unissent à son public. « Quand j’étais jeune, je voulais juste bousculer les gens », admet Mackenzie. « Mais en vieillissant, ce qui m’intéresse vraiment, c’est de créer des connexions. »

 

Les orchestrations de Kelly transcendent les morceaux. ‘Deadstick’ devient une déferlante de jazz-rock étourdissant, ‘Lonely Cosmos’ se déploie dans une constellation de bois et de cordes subtilement arrangés, accentuant son atmosphère d’incertitude, et ‘Grow Wings And Fly’, morceau de clôture, s’impose comme l’hymne le plus lumineux et exaltant de toute la discographie du groupe. Les Gizz comptent bien présenter cette œuvre sur scène, aux côtés des musiciens d’orchestre, en jouant Phantom Island dans son intégralité, accompagné de versions inédites de leurs classiques.

 

Ce nouvel album est une réussite éclatante. Pourtant, les membres de King Gizzard & The Lizard Wizard gardent les pieds sur terre. « J’ai parfois l’impression d’être un imposteur », confesse Mackenzie. « Je suis à l’aise dans mon studio, entouré de mes micros et des gars du groupe. Mais écrire pour un orchestre, c’était fou. En même temps, c’était terriblement excitant. Alors je vais continuer, comme si je savais ce que je faisais. »