Bananagun
Dire que les quatre années écoulées depuis l’arrivée de leur premier album au pic du confinement de l’été 2020 ont été tumultueuses pour le groupe de Melbourne Bananagun serait un euphémisme. Le groupe a été « dispersé » de force après la sortie de The True Story of Bananagun. Les règles extrêmement strictes du confinement australien – déclarant illégal de voyager au-delà d’un rayon de 5 kilomètres – ont rendu presque impossible pour le groupe de se réunir, les répétitions les obligeant à se faufiler à travers les checkpoints militaires sans être détectés.
Parallèlement, Nick van Bakel, guitariste, chanteur, flûtiste et auteur-compositeur du groupe, a vécu une intense période de changement personnel. « J’avais une myriade de montagnes à franchir, c’était plutôt costaud », explique-t-il. « Je me suis donc réfugié dans de nombreuses quêtes spirituelles et dans la recherche de l’âme. Les membres du groupe voyageaient, etc. Il a donc fallu des années avant qu’on sorte des arrêts et des reprises sans fin et qu’on retrouve un certain élan… »
Ce contexte de bouleversement n’est pas absent du nouvel album très attendu du groupe, Why is the colour of the Sky?. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une œuvre pessimiste (loin de là), on est face à un album qui s’éloigne des rafales ultra rapides de sunshine pop et d’afrobeat qui caractérisaient The True Story of Bananagun, et qui brouille les pistes avec un mélange de jazz incendiaire et d’expérimentations freakbeat. Du Bananagun pur jus, mais plus audacieux, plus intrépide et plus mystérieux que jamais…
Pour commencer, le processus créatif du groupe a été complètement revu. Sur The True Story of Bananagun, toutes les chansons ainsi que leurs éléments constitutifs avaient été élaborés individuellement par Nick van Bakel, distribués individuellement aux membres du groupe, testés rigoureusement sur scène pendant des mois, puis apportés en studio plus ou moins complètement formés. Sur Why is the Colour of the Sky?, ce processus inflexible a été délié de ses entraves. Les chansons ont été improvisées, écrites, puis enregistrées par séries de deux chaque semaine en l’espace d’un mois. Il s’agissait d’apprendre la chanson le lundi, de l’enregistrer le mercredi, et de recommencer. Ainsi, lorsque l’aiguille se positionne et que l’effervescence des rythmes freakbeat de la chanson d’ouverture, ‘Brave Child of New World’, passe directement à la vitesse supérieure, on perçoit l’instant d’étincelle où une chanson prend vie pour la toute première fois dans l’esprit des musiciens, dynamisée par toutes les saignées, les imperfections et les défauts d’un jeu collectif, dans un mouvement commun, comme une âme unique.
Alors que les plus versés dans la musique des années 60 sauraient énumérer un grand nombre des références psych garage auxquelles Bananagun pourrait être redevable, et alors que Nick van Bakel admet au moins l’influence croissante du spiritual Jazz sur ce disque (en particulier sur les voyages cosmiques de ‘Feeding the Moon’ ou les orchestres sauvages de ‘With The Night’), la création de Why is the Colour of the Sky? n’a pas été guidée par une fétichisation particulière ou un hommage aux années 1960, par tel disque ou telle playlist, mais plutôt par certains principes philosophiques et esthétiques sur lesquels les grands disques du passé avaient trouvé appui.
Le seul dicton musical conscient étant que les percussions et le groove devaient être mis en avant. Le groupe s’est installé au studio Button Pusher de Preston, dans la banlieue de Melbourne, avec un équipement « comparable à celui de n’importe quel studio des années 60 ». L’enregistrement s’est fait en un minimum de prises sans gommer les imperfections, en se battant avec l’équipement de mixage analogique jusque tard dans la nuit, parce que ces méthodes plus traditionnelles offraient « la manière la plus pure et la plus organique d’enregistrer ». Il était également impératif de prendre soin des conditions dans lesquelles les prises étaient effectuées et de saisir l’énergie du moment : « Il s’agissait avant tout d’une attitude envers la vie et les choses ésotériques, la loi naturelle, les transferts d’énergie, les sons, l’alchimie entre les gens, explique Van Bakel, pour essayer ensemble de créer un environnement où nous pourrions faire de la magie, capter les phénomènes énergétiques et les ondes sonores interagissant dans la pièce. Et c’était absolument le son que nous voulions lui donner, un son humain. »
À bien des égards, le terme « pro-humain » embrasse la quintessence radicale vers laquelle Why Is the Colour of the Sky? s’oriente avec bonheur. Si le disque accueille, dans son souffle et dans son sang, l’humilité, la force de régénération et le grand oui à la vie d’un tel effort de création collective, c’est aussi une œuvre de résistance à un monde de plus en plus fondé sur la technologie et l’isolement, et qui peut sembler de plus en plus déshumanisant dans sa quête de la « perfection ». Un thème directement abordé dans ‘Children of the Man’ et qui se retrouve sur l’ensemble de l’album : « J’ai l’impression qu’une grande partie de la nature humaine et des traditions mérite d’être préservée parce que nous avons probablement évolué pour être ainsi », confie van Bakel. « [Why is the Colour of the Sky?] parle de ne pas perdre la tête et de ne pas être trop stimulé par les médias ; du besoin de spiritualité et de nature ; du besoin de communiquer, de partager des idées et de s’adapter dans un monde qui change rapidement, sans être jugé. Il est question de préservation des besoins humains, pour que nous ne soyons pas tous homogénéisés, isolés et empoisonnés par la stupidité et l’obéissance. »
Et quelle meilleure façon de se sentir humain qu’en posant un groove explosif, ou neuf ?