Le Prince Harry
Après un repos tout relatif pour les deux énergumènes liégeois, il est temps de revenir aux affaires. Et ces affaires, elles se jouent à quatre mains, très vite et s’écoutent à deux oreilles, très fort. Nous sommes pris dans une furieuse course poursuite sur une autoroute belge, en pente, sans frein ni pare-brise. Il est alors impératif d’éviter les ornières pour sa survie, le fossé est proche, la sortie de route imminente. Nous y voila donc, frôlant la glissière, dans une fantastique gerbe d’étincelle, se faisant assener dix morceaux coup-de-poing et dégageant une énergie folle. Même si les incursions vers l’EBM se font plus pop (si tant est que l’on puisse utiliser ce mot ici), le punk devient toujours plus synthétique, le kraut y est percussif et martial, mais, avec Le Prince Harry, cela fait bien longtemps que l’indus se déplace très vite : à 140bpm sur la bande d’arrêt d’urgence.
On les croyait usés il y a cinq ans par les tournées, lessivés par les millions de kilomètres parcourus à faire le lien entre les chaudes caves parisiennes, les scènes de festivals titanesques, les “Autonomes Zentrum” allemands, les bars de l’île de la Réunion, les clubs gothiques de Varsovie ou les smacs de régions reculées.
“Après la tournée de Be Your Own Enemy (2019), on avait mis le projet en pause. Il y avait bien eu quelques tentatives: un album de new beat avorté – dont on a gardé quelques bribes sur l’album -, quelques morceaux sur des compiles amies aussi… Puis on s’envoyait régulièrement des idées l’un l’autre, mais franchement ça ne prenait pas trop, c’était poussif.
Puis fin 2022, on a loué ce studio en Suède, chez des potes, dans un coin reculé, loin des tentations de la fête pour voir ce qui allait sortir. Là on programme le beat le plus simple du monde avec une 707, Snon joue une ligne de basse un peu syncopée, on augmente le tempo petit à petit, je passe ma voix dans un chorus et un delay absolument outrancier et ce cri primal sort tout seul de ma bouche, une espèce de drone incisif, irrévérencieux et provocateur qui se transforme en parole assez rapidement :”It’s a long way from the top, It’s a long way down, it’s a slow slow faaaaaaaall” et là on ressent un frisson, une joie un peu païenne là à jouer du punk dans une cave comme quand on avait 15 ans. Et on se dit, c’est ça, ça nous excite, on va faire ce qu’on a toujours fait, jouer un truc ultra énergique, complètement cathartique et libérateur. Un truc physique. C’est cette énergie qu’on veut transmettre quand on joue en live. Les gens bougent toujours à nos concerts, on arrive à communiquer ce truc qui donne envie de renverser la table, de vider ton compte en banque. J’y vois quelque chose de presque politique ahaha, je veux dire que j’ai toujours eu envie que notre musique soit la BO de moment d’insubordination dans la vie des gens, ces moments où tu décides de ne plus aller à un boulot qui n’a pas de sens, de te séparer d’une personne toxique, de refuser les humiliations quotidiennes et l’amenuisement de nos libertés. Enfin un truc complètement adolescent mais complètement légitime quoi”
Lio, chanteur et membre fondateur
A Long Way Down est un disque DIY qui s’est composé debout et très fort. Les membres du groupe ont composé, enregistré, produit et mixé l’album eux-même, entre la Belgique, la Suède, la France et la Grèce.
“On a toujours eu cette démarche DIY, indépendante. On a toujours proposé à nos labels des produits “finis”, à part le mastering, on s’occupe de tout le reste.
On a composé puis enregistré le disque bout par bout, quand et où on pouvait le faire. Snon produisait d’autres groupes, moi je bossais sur la musique d’un film grec et je tournais avec Rio. C’était vraiment décousu et toujours surprenant, ça a duré un an. Tu l’entends sur le disque, les morceaux sont très différents les uns des autres, j’ai parfois l’impression qu’il y a deux disques en un. On a eu un taf de fou pour mixer tout ça et rendre le tout cohérent. ”
Les chants ont été enregistrés jusque tard dans la nuit, casque au delà de la saturation vissé sur le crâne et 58 en main, les beats de MPC et de Tempest boostés à la pédale disto, la basse jouées à fond dans un ampli Orange élimé, les Moog et les Korg poussés jusque dans leur derniers retranchements .
“On aime garder les moments d’impros, les imperfections, on privilégie toujours une bonne prise, un accident à la maîtrise technique. On a voulu garder un aspect un peu rugueux”
Après avoir abordé le thème de la pollution et de la fête autodestructrice dans It’s Getting Worse (2012), de la surveillance informatique généralisée et des IA malveillantes dans Synthetic Love (2017), de l’addiction au téléphone et de la dépression dans Be Your Own Enemy (2019), A Long Way Down aborde avec ironie et désenchantement le thème de la chute, du temps qui passe et de la désillusion (mais pas de la résignation). “Il y a beaucoup d’ironie dans A Long Way Down. Le groupe a atteint des “sommets” qui ne sont pas plus hauts que des montagnes belges, il y a cette belgitude justement dans ce sentiment d’être parfaitement conscients de faire un come back un peu, mais de construire et jouer des morceaux avec le plus de sincérité possible. Il y a ce paradoxe, un mélange d’humilité et d’arrogance, un second degré assumé mêlé à l’honnêteté la plus candide. On ne cache pas trop cet aspect, on le met en avant justement.”
Niveau contenu, le disque est assez autoréférencé, parmis les méta morceaux, ‘This Is Zip Pop’ se demande si le groupe n’a pas déjà joué cette ligne de synthé, si c’est du plagiat (“You’ve heard it before, but it’s out of your reach”- après l’avoir fait écouter à de nombreuses oreilles expertes et cultivées, non, c’est bien un morceau original). Les paroles de ‘Dig Deep’ ou de ‘Not Much Fun’ parlent de la flemme d’écrire des paroles. ‘Dolce Latte’ parle d’un appartement que le groupe occupe en périphérie de Liège et qui allie tous les désavantages de la ville et de la campagne.
Le duo s’est définitivement débarrassé de la guitare et de plusieurs claviers pour pouvoir voyager plus facilement, ne gardant qu’un sampleur, une table de mix, une basse, trois petits synthés analogiques, quelques pédales d’effets et deux petits claviers midi. Ce sont les seuls instruments présents sur le disque. On a donc affaire à un album résolument électronique, mais qui balaye un large spectre de styles. On a des morceaux comme ‘Sea Of Trees’ ou ‘Nice and Kind’ aux rythmiques assez martiales, où s’invite proto EBM et cold wave, ‘Dolce Latte’ une bastos electropunk sans concession, des morceaux empreints de punk garage comme ‘Blow’ ou deux tubes dancefloor, ‘Le Hachoir De Judas’ et ‘La Banane Du Vide’, sorte de new-beat cauchemardesque. Quelque soit le style visité par LPH, il n’est jamais qu’effleuré, toujours détourné, personnalisé pour correspondre à ce style unique, particulier qui a conduit le projet à jouer en club techno, dans des caves rock, ou dans des salles de concerts gothiques.