
Tall Tales
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Sortie le 09 mai 2025
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Warp Records

Si un titre comme Tall Tales vous fait penser à l’aura décalée, fantaisiste et parfois sinistre d’un livre d’histoires pour enfants, réfléchissez un instant à l’effet qu’un « conte de fées » a pu avoir sur vous ou sur ceux que vous connaissez. Une grande partie du développement de notre esprit critique est attribuée aux histoires à dormir debout dans lesquelles nous nous immergeons dès notre plus jeune âge. Après tout, ces histoires (comme tout art) sont un moyen de nous permettre d’habiter les sentiments et les personnages mystérieux et parfois inconfortables que nous cachons souvent au regard de la « société polie ». Les contes de fées « modèlent le comportement des enfants et leur fournissent un contexte dans lequel ils peuvent évaluer leurs propres émotions ». De ce point de vue, il semble que nous aurions besoin de quelques nouveaux contes pour les adultes parmi nous.
Ces histoires doivent être construites sur des bases solides pour s’imposer en ces temps étranges, mais elles doivent aussi être généreusement truffées d’humour noir pour refléter le cirque dans lequel nous nous trouvons tous en permanence. D’où l’émergence de Mark Pritchard et Thom Yorke en tant que double proposition. Dans la continuité des sublimes remixes du premier pour Radiohead, la paire a trouvé une synergie d’un autre monde avec le chef-d’œuvre ‘Beautiful People’, pièce maîtresse son opus solo, Under The Sun, sorti en 2016. Cette étincelle n’atteindra son paroxysme qu’en 2020, lorsque le travail sur Tall Tales commencera sérieusement. Au cours des années suivantes, en particulier avec l’ajout du collaborateur visuel (et troisième membre effectif) Jonathan Zawada, le processus prendrait l’aura d’une guilde d’artisans travaillant à une vision commune et globale.
Cette image d’artisans disparus rappelle le passé à bien des égards, et pourtant la musique et l’imagerie semblent à la fois remonter le cours d’une histoire commune et se diriger vers un avenir inconnu et déroutant. Comment mieux illustrer le sentiment d’être à la dérive dans un présent qui ne cesse de s’effondrer ? Façonné avec les machines délicates et souvent archaïques que Mark Pritchard avait précédemment dénichées dans les archives de synthétiseurs à travers le monde, il mentionne ces interlocuteurs analogiques comme étant presque une autre présence en soi, le guidant sur des chemins qu’il n’aurait jamais pu anticiper. En conséquence, Thom Yorke a trouvé une voie nouvelle et élégamment désarticulée dans ces tunnels sonores. Il surfe sur son registre déjà impressionnant, déforme sa voix avec des effets numériques de l’ère OK Computer et donne l’impression de pénétrer dangereusement dans la psyché des bons, des mauvais et des laids qui peuplent ces chansons. La longue durée de la collaboration produit quelque chose d’à la fois sauvage dans son éclectisme et profondément cohérent, presque comme un album, un roman ou un film d’une autre époque, indéterminée.
Le trio est complété par Jonathan Zawada, un ancien collaborateur de Mark Pritchard. Artiste visuel et designer multidisciplinaire réputé pour ses environnements hyperréalistes qui jouent avec l’espace où l’organique et le numérique se croisent, son travail incarne ici les chansons de manière à la fois tangible et inquiétante. Il juxtapose des paysages inquiets d’une beauté naturelle à l’esthétique brutale d’un monde qui est bien loin de l’avenir utopique qu’il avait osé imaginer à une époque. C’est dans ces imaginations, qui poussent comme un champignon à partir du paillis des paroles de Yorke et des compositions atemporelles de Pritchard, qu’une perspective profonde commence à se révéler. Par le biais d’une fragmentation de la réalité, nos intrépides conteurs de contes de fées s’interrogent sur l’endroit où notre appétit insatiable pour le « progrès » pourrait nous avoir menés.
Il ne s’agit pas d’un simple scepticisme à l’égard de notre condition moderne inquiétante. Il s’agit peut-être plutôt d’un retour sur les pas qui nous ont conduits jusqu’ici, en suivant le fil d’Ariane d’un passé qui débouche finalement sur quelques indices énigmatiques concernant notre avenir. Parmi eux, la prise de conscience qu’au lieu d’être les individus que l’on nous a dit ou vendu être, nous sommes en fait liés par le destin et la fortune. L’histoire racontée est celle d’une façon plus humaine de progresser, et la question est de savoir s’il s’agit de l’une de ces rares histoires qui pourraient devenir une vérité.