Un nouveau chapitre, une nouvelle formation, un nouveau son : le premier album du Miki Berenyi Trio, Tripla, est un disque marquant pour ses trois créateurs : Miki Berenyi, KJ ‘Moose’ McKillop et Oliver Cherer. L’album, riche en couches, imaginatif et unique en son genre, est un mélange de guitares et d’électronique souvent euphorique et parfois mélancolique, porté par la voix immédiatement reconnaissable de Miki, qui se superpose à une vision du monde souvent profonde, parfois abrasive ou nostalgique. 

La beauté dynamique du trio est illustrée par le single et titre d’ouverture de l’album, ‘8th Deadly Sin’, subtilement influencé par la dance music mais également porté par une dynamique shoegaze – une combinaison qui a rarement été tentée, et encore moins accomplie avec une telle finesse et un barrage d’accroches magnifiques. Le morceau est accompagné des paroles de Moose, un manifeste pour l’environnement ou, comme il le dit lui-même, contre « l’irrespect absolu de notre mère la Terre ». « D’you understand the mess we’re in? » (Vous comprenez dans quel pétrin nous sommes ?), chante Miki. « So what’s the plan, Action Man? / Silly boys / broken toys » (Alors, quel est le plan, Action Man ? / Garçons idiots / jouets cassés).

Le deuxième single de Tripla, ‘Big I Am’, est tout aussi enflammé, avec des rythmes plus hachés et des guitares crunch – de la dream pop à la manière de Two Tone, peut-être – tandis que Miki dénonce l’agression machiste déclenchée sur les réseaux sociaux avec des Andrew Tate : « Throws his weight around, living a lie / Empty victory, stereotype, cliché masculine » (Il se donne à fond, il vit dans le mensonge / Victoire vide, stéréotype, cliché masculin).

Miki Berenyi Trio, ou MB3 en abrégé, porte le nom de sa chanteuse principale – une façon directe d’exprimer la présence de l’ancienne chanteuse/co-guitariste de Lush, et l’un des visages les plus instantanément reconnaissables des années 90 – mais l’écriture est entièrement une collaboration à trois, comme décrit par le titre de l’album, Tripla ou ‘triple’ en hongrois, langue maternelle du père de Miki Berenyi. 

Miki et Moose, qui ont respectivement grandi à l’époque du shoegaze et de la Britpop au sein de Lush et du tout aussi apprécié Moose, sont ici arrivés en provenance de Piroshka, que le couple a formé en 2017 avec le batteur Justin Welch (ex-Elastica) et le bassiste Mick Conroy (Modern English). Lorsque ce dernier s’est cassé le bras pendant la tournée qui a suivi leur deuxième, c’est Oliver qui est intervenu, le compagnon de groupe de Justin dans Aircooled et un artiste solo éclectique et itinérant, sous des pseudonymes tels que Dollboy et Gilroy Mere.

Mick ayant déménagé en Amérique et Justin étant quant à lui occupé par ses séances de travail et ses concerts avec The Jesus & Mary Chain et The Pretenders, Piroshka a été mis de côté, avant que le trio Miki-Moose-Oliver ne se réunisse pour jouer une poignée de chansons de Lush. Il s’en est suivi une série de séances d’écriture. « Rien n’était prévu», se souvient Oliver. « C’était plutôt un processus organique ».

Il en va de même pour le son brillant et glissant de MB3. Sans batteur, le trio a incorporé des boîtes à rythmes derrière les guitares de Moose et Miki puis la basse d’Oliver, ce qui a ensuite conduit à l’ajout d’autres composants électroniques. Libéré de la logistique des tournées avec une batterie, MB3 a saisi l’occasion de jouer régulièrement sur scène, notamment en première partie de Gang Of Four et de Wedding Present, mais aussi des légendes du post-punk Lol Tolhurst x Budgie.

Au fil du temps, les chansons et les paroles de Tripla ont été testées et affinées avant que l’album ne soit enregistré dans le home studio d’Oliver à St Leonards et dans la salle de répétition de Miki et Moose dans le nord de Londres. Décidant qu’un album devait être aussi succinct que la plupart des titres des chansons ou que l’abréviation MB3, ils se sont arrêtés à neuf chansons, qui, par pur hasard, comprenaient trois titres initiés par chaque membre : ‘Gango’, ‘Hurricane’ et ‘Kinch’ pour Miki, ‘8th Deadly Sin’, ‘A Different Girl’ et‘Manu’ pour Moose, ‘Vertigo’, ‘Big I Am’ et ‘Ubique’ pour Oliver. 

Les titres des chansons de travail sont souvent restés, comme ‘Gango’, une chanson en forme d’hélice qui rend hommage à Gang Of Four. « J’aimais beaucoup la façon dont leurs chansons comportaient toutes ces parties disparates qui finissaient par se rejoindre, et c’est ainsi que ‘Gango’ a été écrite », explique Miki. Le cinématique ‘Manu’ – avec la trompette d’Oliver – porte le nom de deux personnes que Moose a rencontrées coup sur coup ; Miki a nommé ‘Hurricane’, d’après la chanson ‘Hurricane Fighter Plane’, alors qu’il envisageait un morceau plus rock pour contrebalancer les tendances électroniques de Tripla, bien que la version finale s’inscrive dans la sonorité sculptée de l’album.

Comme les deux premiers singles, l’ensemble de l’album est confronté aux traumatismes de la vie moderne. Tout comme ‘Big I Am’, ‘Gango’ déplore la misogynie répandue par les médias sociaux. Composé pour les cordes par Fiona Brice, collaboratrice de Piroshka (et membre du label Bella Union), ‘Ubique’ aborde également les maux sociaux créés en ligne : « l’hypersensibilité et le solipsisme », déclare Miki, « quand tout le monde pense que tout ce qui se passe dans le monde est une attaque personnelle ».

Des angoisses plus personnelles sont également mises en lumière. Du côté de Moose, ‘A Different Girl’ lui fait espérer que Stella, sa fille et celle de Miki, aura plus d’opportunités que lui de réaliser ses rêves. Une note plus légère est apportée par ‘Manu’, son texte « légèrement pince-sans-rire » sur l’apprentissage auprès des poètes : « Ils nous diront comment nous aider à nous en sortir », dit-il. « Ou alors, lisez des putains de livres ! ».  Du côté de Miki, ‘Vertigo’ documente sa première expérience de la dépression, déclenchée par la ménopause, tandis que ‘Kinch’ (‘trésor’ en hongrois) rencontre les chers disparus, dont le père de Miki, Ivan, et le batteur de Lush, Chris Acland. « Il est difficile de trouver des sujets sur lesquels on peut écrire à cet âge sans paraître larmoyant – ou ennuyeux ! » note-t-elle. « Mais nous sommes à cet âge ».

« Mais ce n’est pas du tout un album déprimant », assure Moose. « Beaucoup de choses sont vraiment joyeuses ».

Tripla est complété par un superbe mixage de Paul Gregory (des Lanterns On The Lake, membres du label Bella Union) et de superbes illustrations de Chris Bigg – qui a conçu les pochettes de Piroshka et contribué à toutes celles de Lush – intégrant des photographies de Martin Andersen. Mais malgré le son sophistiqué de l’album, MB3 est revenu à l’essentiel, non seulement en enregistrant à la maison, mais aussi en conduisant une voiture remplie de leur matériel, en entrant et en sortant des salles de concert eux-mêmes. 

« Il y a quelque chose de très « grass roots » dans ce que nous faisons », explique Miki.  Il n’y a pas de raison de suivre le chemin « annoncez l’album, puis tournez, puis enregistrez l’album suivant » – nous voulons juste tirer le plus de plaisir possible de cette expérience, et espérer qu’elle résonne quelque part ! »