Pale Blue Eyes
La pop d’excellence futuriste de Pale Blue Eyes nous arrive du Devon et de Sheffield, avec des escales par l’Islande, les terres de KLF et le berceau de la musique électronique britannique.
Penquit Mill, le studio d’enregistrement du groupe, occupe une place centrale dans l’aventure. Il est situé au Sud-Ouest de l’Angleterre, dans la verte région du Devon, où les buses tournoient dans le ciel, juste au sud de la sauvage région du Dartmoor. Afin de créer le studio, les membres du groupe ont contracté un prêt et travaillé à peu près partout où il était possible de gagner de l’argent : dans une usine de fabrication de soupe, dans des festivals de musique, des serres et des cinémas, mais aussi en tenant des bars lors d’événements d’entreprise douteux, ou même en assistant un élagueur. L’essentiel du premier album de PBE, Souvenirs, a été écrit et enregistré par Lucy Board, originaire de Sheffield, et Matt Board, un enfant du South Devon. Matt et Lucy se sont mariés en 2018, des années après leur rencontre en école d’art.
« Quand on était plus jeunes, raconte Lucy, on a enregistré dans différents studios, – des endroits de fortune à Sheffield et à Plymouth ou des studios d’enregistrement comme Rockfield au Pays de Galles. Pour nous, Rockfield c’était le paradis, mais on ne pouvait se le permettre que pour quelques jours. Notre rêve était d’avoir plus de temps en studio, de développer des chansons sans surveiller l’heure, et d’apprendre à produire nous-mêmes. »
Avec le temps et à force de labeur, le studio de PBE a pris forme. Tout le matériel est arrivé. Le Moog Little Phatty, le Prophet 12, le Roland Space Echo. La Moon Funeral Fuzz, la BigSky. A côté de tout le matériel dans le studio, il y avait du solide à l’extérieur. Au sortir de l’adolescence, Lucy joue dans divers groupes à Sheffield, dont plusieurs projets supervisés par Adrian Flanagan et, plus tard, Moonlandingz et The Eccentronic Research Council. Lucy fait également la connaissance par la suite de Dean Honer, le cofondateur de Moonlandingz avec Adrian Flanagan. Fort de son expérience en studio avec des artistes tels que Róisín Murphy, I Monster, the Human League et Add N To (X), Honer occupe une place importante dans l’histoire de PBE. Il a mixé et masterisé l’album Souvenirs et a également joué le rôle de conseiller pendant l’élaboration du disque. Le titre du mémoire de diplôme de Lucy témoigne clairement de l’intérêt qu’elle porte à l’innovation dans le domaine des synthétiseurs caractéristique du South Yorkshire : Enquête sur la scène musicale alternative de Sheffield entre 1973 et 1978, et en particulier Cabaret Voltaire (« An Investigation into Sheffield’s Alternative Music Scene Between 1973 and 1978, with Particular Reference to Cabaret Voltaire »).
Tandis que Lucy se penche sur le patrimoine sonore de sa ville, Matt se lance dans des explorations musicales qui le font voyager plus loin dans l’espace. Alors qu’il atteint la vingtaine, s’éprend des sons que Sigur Rós fait en Islande. Matt fait la connaissance d’un couple d’Islandais durant sa maîtrise de musicologie. Avec l’argent économisé en travaillant à l’usine de fabrication de soupe, il décide de partir un moment en Islande. Ses pas le mènent au studio Sundlaugin de Sigur Rós, près de Reykjavik. Il y fait quelques enregistrements formateurs avec l’ingénieur du studio de Sigur Rós, Birgir Jón Birgisson.
Aubrey Simpson, le troisième membre du trio, est arrivé lorsque Matt et Lucy ont fait sa connaissance au festival Sea Change dans le South Devon. Aubrey est un grand fan de Motown, un inconditionnel du bassiste maison de ce label, James Jamerson. Aubrey a joué dans divers ensembles d’orientation jazz, et le fait que son père ait joué de la batterie avec Joe Mount de Metronomy, alors que le projet pop de ce dernier prenait forme, témoigne de sa jeunesse. Aubrey et Matt ont grandi à Totnes et dans les environs de cette ville du South Devon connue pour ses marchés, lieu qui est devenu un centre socioculturel, abritant des initiatives en matière d’environnement et de divertissement. [The latter ?] Aubrey / Matt a récemment été soutenu par le festival Sea Change, le spectacle artistique et musical qui a fait émerger des artistes tels que Gruff Rhys, Aldous Harding, The Comet Is Coming et Peggy Seeger dans un village semi-rural de 8 000 âmes. Sea Change a été créé par les collaborateurs de Drift Records, un magasin incroyable dans lequel Matt a travaillé de temps en temps pendant des années. Pale Blue Eyes a pu soutenir des projets de développement durable à Totnes. Ils ont récemment fourni la musique pour l’ambitieux projet Atmos, aux côtés d’une installation son et lumière de Brian Eno.
C’est nourri de tout cela que Pale Blue Eyes a réalisé un premier album ample et sophistiqué. Les douces lignes de synthé et les riffs de guitare métronomiques confèrent à l’album une atmosphère en constant mouvement. L’album passe de l’envolée mélodieuse de la basse de « Globe » à la guitare aux teintes métalliques de « Motionless » et « Under Northern Sky », où l’on retrouve peut-être l’empreinte de Television et du Will Sergeant d’Echo And The Bunnymen. L’album entre dans des zones plus exubérantes avec l’explosion pop du morceau « Dr Pong », qui tire son nom d’un bar berlinois où l’on peut jouer au ping-pong toute la nuit. La splendide ballade de SF « Chelsea » est un paradoxe : une magnifique comédie musicale mais des paroles enracinées dans la nuit où Lucy et Matt se sont retrouvés à tenir le bar d’une soirée privée nauséabonde à Londres.
L’album de PBE s’appelle Souvenirs parce que, comme l’explique Lucy, « les chansons contiennent quelques années de souvenirs et d’expériences, – des périodes de changement et de tristesse sur le plan personnel. Les chansons étaient un exutoire pour nous et elles nous servent maintenant de souvenirs de toutes ces périodes. »
Alors que Pale Blue Eyes travaillait à la réalisation de l’album, Danny Board, le père de Matt, est décédé. L’album lui est dédié. Matt a une infinité de bons souvenirs de son père, y compris « quand je me suis réveillé un matin d’été au son d’un album de Cocteau Twins que Papa avait mis à fond, en laissant toutes les fenêtres et les portes ouvertes. » PBE a construit le studio à côté de la vieille maison familiale de Matt, afin d’être présent pour aider la mère de Matt qui traversait une longue maladie. L’album comprend une réflexion sur la mort et les moments de découragement, comme sur le premier single « TV Flicker », qui, de façon surprenante étant donné le sujet, est devenu un tube sur les ondes / un tube radio. Mais Pale Blue Eyes met l’accent sur le positif, en réagissant aux moments difficiles par un album vibrant d’exaltation, de beauté et de joie.
L’album déborde d’un optimisme unique, comme en témoigne Matt lorsqu’il en énumère les thèmes : « Embrasser les bons moments, s’évader, se perdre dans un instant de bonheur alors que le monde part en vrille autour de nous… Gérer et comprendre la perte et le chagrin, et utiliser notre musique comme un véhicule pour aller de l’avant… Combattre la banalité et ne pas abandonner ses rêves… La joie toute simple d’une belle soirée ou d’un moment d’émotion devant un groupe, une œuvre d’art ou un grand film… Tirer le meilleur parti du temps qu’on a… » Les titres « Little Gem » et « Globe », tout particulièrement, vibrent de positivité. Il y est question d’optimisme, de jardinage et d’hédonisme dans une résidence étudiante.
Alors que PBE mettait la touche finale à l’album, les membres ont reçu de nombreux encouragements de leur label, Full Time Hobby. Avant de signer avec le label, PBE a sorti une édition limitée du single, financée et sponsorisée par trois entreprises innovantes du South Devon : la brasserie New Lion, les producteurs de champignons GroCycle et la Green Funeral Company. Cette dernière est également liée à Callender, Phillips, Cauty & Drummond Undertakers, les directeurs funéraires du programme de commémoration post mortem MuMufictation. Jimmy Cauty et Bill Drummond sont, bien sûr, également connus pour leur travail avec The KLF et The Justified Ancients of MuMu. Ce rapprochement entre Cauty et PBE est un hasard bienvenu. Jimmy a grandi à Totnes. Désormais, après avoir accompli tant de prouesses artistiques et musicales, Jimmy se trouve incidemment en rapport avec une singulière entreprise de pompes funèbres dans une ville qui a contribué à sa formation. Et, dans cette même région, un nouveau groupe voit le jour, – un groupe qui a un lien avec Cauty. Depuis les JAMMs jusqu’à son actuelle installation de tours modélisées Estate, Jimmy a toujours conçu des œuvres étonnantes (et, à l’heure où ces lignes sont écrites, Estate est installé à Totnes). Pour qu’un nouveau groupe de pop puisse, d’une manière ou d’une autre, exister aux côtés d’une telle invention, il faut vraiment y aller – mais, comme toujours, c’est plein d’espoir que Pale Blue Eyes voyage.