Princess Chelsea
C’est chez elle, dans la campagne néo-zélandaise, que la productrice Princess Chelsea a conçu Everything is Going to be Alright, son nouvel « album de dépression » (“nervous breakdown album”), comme elle l’appelle. L’album est un apaisant cadeau. Sans tristesse ni complaisance. Bien plutôt, les deux titres d’ouverture et de clôture racontent la guérison de Chelsea Nikkel, et sont destinés à une écoute cathartique pour tous ceux qui en ont besoin. « Si tu as envie de mourir / crois-moi mon amour / il faut juste du temps » (“If you feel you want to die / trust me darling / it just takes time”), chante-t-elle dans « Time ». Les mélodies vocales, soigneusement superposées aux flûtes mellotron et à la harpe, au violoncelle et au violon, démontrent les talents d’arrangeuse et de productrice de Chelsea.
La pop cinématographique et onirique de l’artiste s’est affinée en onze ans et autant de singles, au fil de cinq albums et d’un E.P.. La voix et les chansons de Chelsea se distinguent par leur sincérité presque naïve, leur humour pince-sans-rire et leurs étincelles sonores. Sa chanson typée groupe de filles grunge « I Love My Boyfriend » (2018), ainsi que « Cigarette Duet » (2011), inspirée de Nancy & Lee, lui ont récemment permis de se faire connaître du grand public grâce à l’influence de la nouvelle génération Tik Tok.
Le nom Princess Chelsea provient d’une boutade affectueuse qui remonte à près de quinze ans. Ses copains du groupe Teen Wolf d’Auckland « étaient sarcastiques, dit-elle, car lorsque nous étions en tournée, j’avais souvent l’air vraiment débraillée, et ils me charriaient en disant que j’étais une princesse. » Chelsea a conservé le titre de princesse, en en jouant. Elle a adopté une féminité à la fois partielle et sans réserve qui met l’accent sur le labeur esthétique tout en le perturbant. Avec Teen Wolf, Chelsea a commencé à mettre sa formation de pianiste classique au service de la scène underground néo-zélandaise. Elle a par la suite prêté son talent au groupe de pop indépendant The Brunettes.
Everything is Going To Be Alright est un album exemplaire du style de Princess Chelsea, de ses qualités en tant que collaboratrice et en concert. Les arrangements instrumentaux de Chelsea sont inspirés par son groupe live, dont les interprétations de ses enregistrements de chambre ont produit un spectacle légendaire.
« The Forest », enregistré en direct en une seule prise avec Chelsea et son groupe au complet au studio d’enregistrement « The Lab » d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, offre des murs de guitare dynamiques et une performance vocale passionnée. L’écart est frappant par rapport à ses productions précédentes, « The Forest » nous fait entrer dans ce que l’artiste appelle son “guitar album”, son « album de guitare ».
Les compétences de Chelsea en tant qu’arrangeuse et productrice se dévoilent pleinement tout au long de l’album, souvent sous la forme d’arrangements de guitare complexes qui font un clin d’œil aux Cars et aux Breeders (« Forever is a Charm »), et aux groupes du label néo-zélandais Flying Nun des années 80 et 90 (« Love is More »). Bien que l’album soit porté par une grande créativité musicale, les marques de style de l’artiste sont bien présentes, – synthés classiques des années 80 (Yamaha DX7, Roland D-50), mélodies superposées, instruments orchestraux, voix oniriques, et cette pop sophistiquée qui a souvent suscité la comparaison avec Julee Cruise ou Enya.
L’incroyable « Forever is a Charm », avec son arrangement minimaliste de guitare groove, rappelle The Motels, avant de se transformer en un refrain inspiré des Breeders : “When you’re with me, I feel like I could die / Die / Die / Die” (« Quand tu es avec moi, j’ai l’impression que je pourrais mourir / Mourir / Mourir / Mourir »). Comme le dit Chelsea avec humour, cette chanson pourrait être prise pour une chanson d’amour, alors qu’elle parle de « personnes fausses et ennuyeuses » (“boring fake people”).
« Love is More » est un bijou de guitare pop qui se présente comme une ode aux groupes du label néo-zélandais Flying Nun. Les paroles ont l’air simples jusqu’à ce qu’on prenne conscience, lors du deuxième couplet, qu’il s’agit en réalité de la complexité d’une relation abusive. On se demande alors ce que signifie le refrain “Love is much more than a beautiful feeling.” (« L’amour est bien plus qu’un beau sentiment. »)
Les guitares prennent une allure plus onirique sur « Dream Warrior », avec cet arrangement caractéristique de l’artiste qui a précisément valu à Princess Chelsea d’être comparée à Julee Cruise et à Enya. Dans le plus pur style princesse, une clarté chatoyante est utilisée pour éclairer les ténèbres lorsqu’elle chante « En vérité, je ne veux pas vieillir, mais je veux vieillir avec toi. » (“Truth be told I don’t wanna grow old, but I wanna grow old with you.”)
L’album est encadré par deux titres jumeaux, et entre eux Chelsea commence et termine son voyage personnel vers la guérison. C’est un album sincère mais troublant, qui crée des tensions et les relâche. Le titre d’ouverture, « Everything is Going to Be Alright », avec son souffle cinématographique, est un mariage de doom metal intimiste et de pop dans la tradition des groupes féminins des années 60 (comme Shangri-Las). Le tour préféré de Chelsea, qui consiste à prononcer des paroles authentiquement joyeuses en mineur, donne un air inquiétant et suggère qu’elle ne croit pas nécessairement à ce qu’elle est en train chanter.
Le titre de clôture, « Everything is Going To Be Alright Pt.2 », a été enregistré en collaboration avec Joshua Worthington-Church, le guitariste et bassiste du groupe. C’est une ode épique de 6 minutes à la guérison personnelle. D’abord performance vocale rare sur un orgue en tonalité mineure, la chanson se mue soudain en cascade de voix tonnant sur des accords majeurs qui aboutissent habilement à une power-ballade introspective et magnifique, teintée de country alternative. Chelsea n’a jamais été aussi sincère et vulnérable, et lorsqu’elle chante « Je pense à toi parfois / Et ça me donne le cafard / Alors je sors marcher / Et tout va s’arranger » (“I think of you sometimes / And it makes me blue / Then I walk outside / And everythingings gonna be alright”), cette fois on la croit.