Squid

Cowards

Sortie le 07 février 2025

Warp

Le nouvel album de Squid, Cowards, parle du mal. Neuf histoires dont les protagonistes sont confrontés aux cultes, à l’influence spirituelle et à l’apathie. Des personnages réels et imaginaires qui pataugent dans un océan sombre, entre le bien et le mal. Le chanteur et batteur Ollie Judge explique qu’il avait l’habitude d’être attentif à « des choses de la vie réelle aperçues dans la rue, et aux gens », mais quelque part entre leur dernier album et aujourd’hui, cette analyse sociale vécue a cédé la place à un monde imaginé aux allures encore plus réelles. Lecteur passionné, il s’est trouvé de plus en plus attiré par le rayon des romans cultes en librairie, tombant sur des « livres sombres sur d’horribles meurtriers» tels que Lapvona d’Ottessa Moshfegh ou Miso Soup de Ryū Murakami. L’écran de fumée du narcissisme numérique est présent dans Cowards, et comme il l’ajoute: « une grande partie de l’album traite de l’idée de somnambulisme dans un monde de vanité ».

 

Cowards est l’album le plus courageux de Squid : il prend de l’ampleur tout en revenant à l’essentiel. « Nous voulions un album avec de très bons textes, explique le guitariste Louis Borlase. Des idées simples à la résonance très différente d’O Monolith, qui était dense et complexe ». Alors que leurs deux précédents albums traitaient de thèmes typiquement britanniques, tant dans les paroles que dans le son, avec Cowards le groupe se tourne vers l’extérieur. Ollie Judge attribue cette évolution aux tournées : « Tout ça a nourri cet album d’une manière que je n’avais pas saisie au départ. Chaque chanson est ancrée dans un lieu spécifique. Ce sont des endroits que nous avons visités tous les cinq, comme New York, Tokyo et l’Europe de l’Est ». Il souligne également la similitude avec les personnages de Nebraska, l’album solo de Springsteen sorti en 1982, qui « parle essentiellement de gens mauvais, mais qui est parsemé de fugaces moments de rédemption ».

 

Squid considère Cowards comme l’album avec lequel ils auraient aimé commencer, mais il faut beaucoup de temps pour forger le type de relation musicale qui rend possible un tel disque. Pour le bassiste et cornettiste Laurie Nankivell, «c’est sacrément difficile, il faut de nombreuses années pour trouver un langage collectif que l’on peut partager à cinq, et nous y sommes parvenus musicalement, en nous nourrissant les uns des autres ». C’est un long processus où chaque note est écrite et travaillée ensemble, en personne. Cela donne à leur musique une énergie motrice à mesure que les conversations musicales entre chaque membre s’intensifient. Un travail difficile ? « Oui », poursuit-il avec une excitation étourdissante, mais « nous savons que c’est notre meilleur album à ce jour ».

 

Une grande partie de cette énergie a été consacrée à l’élaboration de nouveaux motifs sonores pour le disque, et si le choix d’inclure davantage d’instruments acoustiques qu’auparavant était évident, il y a toujours de la place pour l’invention ludique avec Squid, comme le rappelle le claviériste et violoncelliste Arthur Leadbetter : « J’ai échantillonné un clavecin et je l’ai transformé en instrument virtuel pour la séquence de ‘Well Met’. J’ai aussi échantillonné des timbales et je les ai adaptées pour ‘Showtime!’. »  Ils ont même enregistré les rayons du vélo de Nankivell pour conférer une atmosphère inquiétante à ‘Well Met’, la dernière chanson de l’album. Ces gestes jettent un pont espiègle entre leurs instruments, le bricolage et la production.

 

En dehors de leur espace à Lewisham, l’album a été écrit dans la salle de démo de Warp à Gospel Oak et lors de résidences d’improvisation à Margate et Falmouth, où le groupe a fait évoluer son matériel embryonnaire dans des salles indépendantes clés comme Elsewhere? et The Cornish Bank. Une fois l’écriture terminée, le groupe s’est rendu aux Church Studios à Crouch End pour travailler avec Marta Salogni, productrice lauréate du Mercury Prize, et Grace Banks pour la première fois. Ollie Judge se souvient de sessions très intenses. « Nous avons commencé à écrire en novembre 2022, nous avons enregistré l’album en mai 2023 et l’enregistrement a été terminé le jour où O Monolith est sorti. Nous étions tellement absorbés par cet album que nous avons oublié que nous avions le deuxième ». On a l’impression que Squid se nourrit d’intensité, d’un élan incessant vers l’avant. Que l’intuition et l’expression sont leur but. Et les tournées, l’accueil critique et les ventes, leur produit dérivé.

 

C’est ainsi qu’après avoir terminé l’enregistrement de leur troisième album, ils se sont retrouvés immédiatement plongés dans la vie trépidante d’un groupe en tournée pendant plus d’un an pour assurer la promotion de leur deuxième album. Tout cela semblait étrangement anachronique. Les écoutes répétées de l’enregistrement pur de Sologni et Banks sur la route ont donné au groupe l’occasion rare de réfléchir aux finitions, tout en devant faire confiance aux collaborateurs pour l’exécution à la maison. « Nous avons dû occuper le siège passager. Nous sentir surpris », poursuit Louis Borlase. « C’était l’essentiel, se laisser surprendre par une interprétation ». La seule personne de confiance pour la production complémentaire a été leur maître à penser et collaborateur de longue date Dan Carey, qui a enregistré les deux premiers albums du groupe. Puis le disque a été envoyé à Seattle pour être soigneusement mixé par John McEntire, avant d’être compressé par la riche chaîne analogique du mastering d’Heba Kadry à Brooklyn, New York.

 

Pour les voix et les instruments additionnels, Squid a pu faire appel à des amis et des musiciens de renom : la chanteuse expérimentale danoise Clarissa Connelly, le compositeur, pianiste et chanteur Tony Njoku, Rosa Brook du groupe punk Pozi, le magicien des percussions Zands Duggan, et le Ruisi Quartet pour violon, alto et violoncelle, collaborateur de Jonny Greenwood. L’éventail des sons possibles au sein de ce groupe a permis à Squid d’aller plus loin, en écrivant des arrangements qui montent en crescendo avant de s’estomper en mélodie discrète. Des voix fugaces dans des rondes inquiétantes évoquent les chants préhistoriques et les comptines. Sur Cowards, Squid atteint quelque chose de nouveau et d’étrangement surnaturel.