The Mysterines

Afraid of Tomorrows

Sortie le 21 juin 2024

Fiction Records

Recommencer à zéro n’est pas une mince affaire. S’extraire des ombres d’hier réclame du cran, de la détermination et de la volonté. Mais c’est précisément ce qu’a fait le groupe de rock britannique The Mysterines. Leur nouvel album, le féroce Afraid of Tomorrows, fait table rase du passé et construit du neuf à partir des ruines.

 

C’est à Liverpool que la chanteuse Lia Metcalfe, le batteur Paul Crilly, le bassiste George Favager et le guitariste Callum Thompson ont formé The Mysterines, un groupe qui a opéré une mue radicale au cours des dernières années. Avec un nouvel objectif et revigoré par des sessions d’écriture à la campagne (entre deux concerts devant 60 000 personnes lors de la tournée des Arctic Monkeys), le groupe s’apprête à sortir son album le plus accompli. « On perçoit la différence avec cet album, confie Lia Metcalfe. Ces chansons montrent tout le chemin parcouru. On a beaucoup avancé. »

 

Le premier single de l’album, « Stray », un superbe morceau de grunge-rock, en est la preuve. “What a drag it is (« C’est une vraie galère »), s’exclame Metcalfe. “Look what you’ve done now/ You’re not the kind to make real promises.” (« Regarde ce que tu as fait maintenant / Tu n’es pas du genre à faire de vraies promesses ») Alors qu’on s’habitue à cette lente montée en tension, la chanson explose. “We’re stray” (« Nous errons »), chante Metcalfe comme dans un hurlement de louve, sur des percussions frénétiques et les grognements frissonnants de la guitare.

 

« Stray » est un coup de canon. L’instrumentation aux allures menaçantes embrasse le thème de la chanson, qui parle de ces leçons apprises trop tard, et de la façon dont un chemin de traverse peut de prime abord paraître si séduisant. C’est une aventure dans des ruelles sombres et des rues désertes, alors qu’on jette un coup d’œil par-dessus son épaule en se demandant si quelque chose a vraiment bougé dans l’obscurité.

 

Une grande partie de l’album est imprégnée de cette paranoïa et de cette peur. « Tired Animal » est chargée de sons aussi étranges qu’imprévisibles, – la rancœur flotte dans l’air. La plupart des sessions d’écriture de Metcalfe et Crilly se sont déroulées dans des endroits pittoresques d’Angleterre. Ce morceau en particulier est né dans une salle de répétition où il faisait un froid glacial, près des docks de Liverpool. « Ce n’était pas un endroit sûr, loin de là », raconte Crilly en grimaçant à l’évocation de ce souvenir. « Il faisait si froid, – c’était l’horreur ! Mais c’est de là, plaisante Metcalfe, qu’est né leur « moment Mozart », sans doute le plus expérimental que les Mysterines aient jamais vécu.

 

On est loin de la furie du trépidant Reeling, un premier album au large succès critique. Produit par Catherine Marks (Boygenius, Wolf Alice), lauréate d’un Grammy, cet album se nourrissait en 2022 d’une sorte d’angoisse adolescente très brute, qui s’appuyait sur l’imagination de Metcalfe pour en créer les récits.

 

« Avec le premier album, beaucoup de choses étaient axées sur la narration et aussi un peu naïves parce qu’on n’avait pas vécu autant de choses qu’aujourd’hui, explique Metcalfe. On jouait comme on pensait qu’il fallait le faire, comme des gamins, alors que pour cet album on a intégré plus d’influences actuelles dans le travail. » Au sujet des paroles également, elle a plus de choses à dire : « On n’est pas autant dans la fiction, même s’il y a toujours des choses que je garde derrière des portes closes. »

 

L’expérience vécue dans Afraid of Tomorrows transparaît dans l’habileté du jeu du groupe, dans sa confiance et dans le ton de voix désabusé de Metcalfe. Ce n’est jamais aussi évident que sur « Another Another Another », l’ouverture pour laquelle elle chante comme si elle était sous sédatif. “You said the clock is only ticking if you’ re listening/ So I just close my eyes and try to forget it“, entonne-t-elle (« Tu as dit que l’horloge ne tourne que si tu l’écoutes / Alors je ferme les yeux et j’essaie de l’oublier »). A mesure que la chanson se déroule, sa rage s’intensifie. “I try my very best/ But I just can’t forget it” (« Je fais tout ce que je peux / Mais je n’arrive pas à l’oublier »), bouillonne-t-elle, sous une ligne de basse en forme de nuage d’orage.

 

« J’étais dans une mauvaise passe quand j’ai écrit cette chanson, se souvient Metcalfe. J’étais vraiment triste et je sentais que j’avais besoin de l’extérioriser, comme un truc coincé dans la gorge. Après l’avoir écrite, je me suis sentie bien, – il y avait vraiment quelque chose de cathartique là-dedans. » Ecrite dans la salle de bain de la maison de sa mère, la chanson parle de la fatigue qu’on connaît tous quand on se retrouve piégé dans un scénario trop familier.

 

« C’est probablement un thème récurrent dans le processus d’écriture, dit-elle. Paul m’a regardée traverser cette épreuve, – il était important qu’il soit présent pendant toute la durée de l’écriture. » Effectivement, la tristesse s’infiltre dans l’instrumentation, mais aussi la fureur de Metcalfe et, vers la fin de l’album, l’espoir. « La construction est splendide – ça commence en douceur, souligne Crilly à propos de « Another Another Another ». Je pense aussi que, pour la production, John [Congleton] a réussi. Je pense qu’il a aimé parce que c’est assez sombre. »

 

Le groupe a passé un mois à enregistrer l’album avec Congleton – artiste, producteur, mixeur et ingénieur lauréat d’un Grammy Award – dans son tout nouveau studio de Los Angeles. « On a été le premier groupe à enregistrer là-bas », déclare Crilly en souriant, élogieux au sujet du producteur, qu’il décrit comme « génial : il est à la fois calme et passionné, et sa connaissance de la musique est tout simplement époustouflante. »

 

« Et il est tellement créatif, ajoute Metcalfe. Evidemment, avec son C.V. de producteur, c’était assez intimidant… Il a travaillé avec certains de nos artistes préférés. C’est une pointure. » Congleton, pour sa part, ne se cache de son attirance pour la musique sombre et inquiétante de The Mysterines (qui n’est pas sans lui rappeler de précédentes collaborations avec The Murder Capital et St Vincent), ainsi que pour leur écriture à vif, proche de Bill Callahan ou Phoebe Bridgers.

 

L’imagination de Metcalfe prend son envol sur la première chanson de l’album, « The Last Dance », qui raconte l’histoire de quelqu’un qui tombe amoureux d’un mannequin de porcelaine et souhaite ardemment danser avec lui. « Je suppose que c’est une métaphore de ce que la solitude peut nous faire, dit-elle. Une fois qu’on a épuisé les voies les plus sombres de la drogue et de l’alcool, on finit par chercher à se connecter à quelque chose qui n’est pas réel. » Elle tourbillonne, propulsée par un solo de guitare foudroyant et des rythmes de batterie tonitruants. “If only you could take my hand” (« Si seulement tu pouvais prendre ma main »), s’écrie-t-elle.

 

Afraid of Tomorrows est l’écrin parfait pour l’extraordinaire voix de Metcalfe. Comme personne d’autre sur la scène rock britannique, elle peut passer soudainement d’un ronronnement lascif à un hurlement à faire dresser les cheveux sur la tête, enfant de Courtney Love et de Karen O. “I strike a match to get out of it/ You drag me back for the funl of it” (« Je craque une allumette pour m’en sortir / Tu me ramènes pour le plaisir), hurle-t-elle sur l’exaltant « Sink Ya Teeth ». Ce titre, l’un des derniers à avoir a été écrits pour l’album, est celui d’un groupe au sommet de son art, au potentiel dance à la LCD Soundsystem.

 

Cet album démontre de façon impressionnante l’ambition colossale du groupe, que ce soit sur l’éclatant « Hawkmoon » ou sur le surprenant et poignant morceau-titre. « Je pense qu’il est facile de regarder en arrière et de porter des jugements sur sa jeunesse, mais on a dépassé ça maintenant, constate Metcalfe. On a l’impression de savoir quel groupe on est. » Et avec un tel album, ils sont prêts à conquérir le monde.