
Soul Tuning
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Sortie le 30 mai 2025
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Other Suns

Compositeur et producteur français, Benoît de Villeneuve se situe en dehors de tout genre, scène ou catégorie. Fusionnant l’électronique et l’acoustique, d’une sensibilité méditative à une sensibilité intense, sa pratique musicale s’enracine dans l’expérimentation, à la recherche de l’émotion.
« C’est en 2019 que j’ai envoyé ce nouvel album à Anthony Gonzalez. Je l’avais connu en travaillant sur l’album de M83 Dead Cities…. À l’époque, je m’intéressais beaucoup au transhumanisme et mon album s’inscrivait dans l’idée du ‘musicien augmenté’ : je voulais tout composer et produire seul, avec l’aide de mes machines. Aujourd’hui, avec l’intelligence artificielle comme nouvelle déclinaison du transhumanisme, la question de la technologie et de la sensibilité reste plus que jamais d’actualité. Mais pour moi, les outils technologiques ne doivent toujours servir qu’à l’exploration des émotions. »
Un enthousiasme partagé par Anthony Gonzalez : « La première fois que j’ai écouté Soul Tuning, j’ai été captivé. Son esprit d’avant-garde, sa profondeur émotionnelle et intellectuelle m’ont immédiatement interpellé. Aujourd’hui, je suis incroyablement fier de publier cet album sur Other Suns. C’est un honneur de partager ce travail avec le plus grand nombre. »
Ce disque n’est ni une critique ni une célébration naïve de la technologie, mais plutôt une rêverie poétique sur ce qu’elle déclenche en nous : interrogation, malaise, vertige et fascination.
Une quête poétique de l’âme à l’ère du numérique
Benoît de Villeneuve, connu sous le nom de scène Villeneuve, est un musicien, compositeur et producteur français qui a su se forger une place unique dans la scène musicale contemporaine. Il a débuté sa carrière dans les années 2000 à Paris, explorant un large éventail de styles musicaux, du rock indépendant à l’électronique ambiante, en passant par la musique de film. Son œuvre, marquée par un mélange subtil de musique électronique, de sonorités cinématographiques et de poésie introspective, explore les frontières floues entre l’humain et la technologie, entre le passé organique et le futur numérique.
Jeune adolescent vivant en province, il s’est reconnu dans la rage apportée par la scène noise américaine, à travers des groupes comme Sonic Youth, devenus soudainement populaires. Il a monté son premier groupe, pour ensuite composer ses premiers morceaux sur un quatre pistes à cassettes, avec Aphex Twin et Autechre lui donnant envie de se plonger dans les musiques électroniques. Ce mélange des genres ressemble finalement à sa musique, sans barrières de style, à l’aise aussi bien avec les guitares saturées, les mélodies, qu’avec les expérimentations sonores. En mélangeant les outils informatiques les plus modernes comme les instruments les plus anciens (clavecin, piano, percussions…), Villeneuve fait le lien entre l’ancien et le moderne, dans une musique à la fois intemporelle et tournée vers l’avenir.
Soul Tuning : un requiem pour une humanité numérisée
Soul Tuning est une œuvre qui marque une évolution significative dans son parcours. Il a composé, interprété et produit ces morceaux seul dans son studio à Aubervilliers, utilisant principalement un synthétiseur modulaire et quelques instruments acoustiques. Ce choix témoigne de son désir de se confronter aux limites imposées par la technologie, tout en cherchant à préserver une certaine spontanéité et physicalité dans son travail.
« C’est une interrogation sur l’existence de l’âme, celle des humains, celle des intelligences artificielles mais aussi celle de la musique. Certains textes de Philipp K Dick ou de Balard m’ont beaucoup marqué, et à l’heure où la technologie se déploie de manière exponentielle et vertigineuse, beaucoup de situations imaginées par ces auteurs deviennent réalités. J’ai le souhait que la musique ne soit pas utilitaire mais garde un aspect de mystère, de magie, et donne un supplément d’âme et de sens. »
L’album est habité par des questionnements sur la spiritualité, la technologie et l’interaction entre les deux. Les textes des chansons de Soul Tuning sont imprégnés d’une certaine mélancolie, une étrange inspiration qui vient habiter la musique, lier les éléments organiques et numériques. Dans des morceaux comme ‘Silicon Soul’ et ‘Hard Drive Cemetery’, Villeneuve explore la fusion entre l’humain et la machine, questionnant la perte de l’âme qui pourrait en résulter. Les paroles évoquent un monde où la mémoire, l’identité et même le corps peuvent être modifiés, transformés, voire effacés, laissant l’auditeur face à l’angoisse d’une existence de plus en plus déshumanisée.
« Les libertariens américains se retrouvent dans l’idéologie transhumaniste. La plupart se réclament de Ayn Rand. Ce culte de l’égoïsme, de l’individualisme, du rejet du collectif, cette obsession d’une classe dominante pour l’optimisation, l’exploitation, la disruption conduit vers un néo féodalisme, une techno oligarchie fascisante où l’élimination des plus faibles et l’extraction des ressources ne doivent plus avoir de limites. Je serais à l’inverse attaché à ce que la technologie favorise le soin non seulement de la nature mais aussi des autres. La technologie et la musique doivent affiner la sensibilité, au service (peut-être utopique) d’une meilleure relation entre les êtres. »
L’univers sonore de Soul Tuning évoque un paysage dystopique, à la fois familier et étranger, où les sons semblent parfois étirés, fatigués, résignés à ne produire que des échos de leur propre déclin. On pense au film Blade Runner mis en musique par Oneohtrix Point Never, ou encore au Koyaanisqatsi de Philip Glass remplacé par des synthétiseurs. Le titre de l’album, qui pourrait être traduit par ‘l’accordage de l’âme’, reflète cette quête ironique et mélancolique afin de retrouver une profondeur dans un monde où l’âme pourrait bien être en voie de disparition.
L’album ne se limite pas à une simple critique du monde moderne; il offre aussi une quête, une tentative de réconciliation entre l’humain et le digital. Les compositions musicales, souvent comparées à des paysages sonores cinématographiques, renforcent cette atmosphère de contemplation et d’introspection. Villeneuve parvient à créer une tension entre l’électronique froide des synthétiseurs et la chaleur des instruments acoustiques, comme pour souligner l’opposition et la complémentarité entre ces deux mondes.
Soul Tuning refuse de trancher entre le désespoir et l’espoir. Il se situe dans un espace intermédiaire, où la musique semble nous chanter un requiem, tout en laissant entrevoir la possibilité d’une renaissance. Les métaphores de dissolution et d’effacement, comme dans ‘Le Visage de Sable’, rappellent la fragilité de l’identité humaine face à l’inexorable avancée de la technologie.
Avec ce disque, Villeneuve tente d’humaniser des concepts abstraits comme l’informatique et la cybernétique, en les intégrant dans un cadre poétique où l’émotion reste centrale. En confrontant l’organique au synthétique, il crée une musique où l’art, la technologie et la quête spirituelle s’entrelacent de manière complexe et indissociable.