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C’est en se réinventant constamment qu’un artiste trouve du plaisir. En poussant les choses toujours plus loin. Avec l’humilité du débutant. En repartant de zéro. Quand toute nouvelle trouvaille est décisive, qu’on donne le meilleur de soi. Les !!!, souverains de la dance-punk, connaissent bien cette sensation : leur musique pleine d’urgence renverse tout sur son passage depuis 25 ans. La musique, pour !!!, est un territoire où tout peut arriver. Comme le dit le leader Nic Offer, « Nous cherchons toujours le truc le plus bizarre, le truc différent. Il fallait continuer à avancer. »
Le neuvième album du groupe, Let It Be Blue, nous fait ressentir cette idée de transformation constante et radicale vers de nouvelles zones jusque-là inexploitées. C’est un disque de dance dépouillée. Le genre de musique qu’on a envie de mettre à fond, parfaite pour se lâcher, décider de prendre un verre au comptoir et puis abandonner le projet parce que la chanson qui vient de commencer est trop bonne pour ne pas danser.
Let It Be Blue est un disque informatique, mais il n’en a pas l’air. Avec Patrick Ford à la production, l’album résulte de fichiers partagés, de petits bouts échangés, d’atomes de chansons, de minuscules idées qui sont devenus des morceaux de dance à part entière. Il a été conçu au cours des deux dernières années, avec en tête le rêve des dancefloors à venir. Ses 11 morceaux comptent parmi ceux à la production la plus travaillée du groupe. Ils sont limpides, pleins de graves et de batterie. On est plongé dans des clubs où se mêlent Dembow et acid house à des volumes si élevés que les oreilles font mal et qu’on ne sait plus quel jour on est. En d’autres termes, c’est du !!!
Atteindre un tel dépouillement a représenté un défi excitant pour le groupe. « A sept ou huit dans le groupe au départ, on essayait toujours de tout mettre, d’intégrer autant de parties que possible », raconte Offer. Let it Be Blue s’écarte de cette tendance. Il est minimaliste, mais cela ne veut pas dire que les morceaux ne sont pas des univers complexes et autonomes. Ils le sont.
« Storm Around the World » commence tranquillement. Des boîtes à rythmes, des synthétiseurs, la voix cristalline de Rafael Cohen. Et puis on est en club, en mode pétage de plombs hypertrophié. Maria Uzor de Sink Ya Teeth se jette sur le morceau, oscillant entre mots parlés et mystérieux et hypnotiques passages chantés. La chanson ressemble à une conversation dans un bus de nuit entre Uzor et Cohen. C’est un duo électrisant.
« Panama Canal » provient d’un partage de fichiers entre Rafael Cohen et Mario Andreoni, qui a d’abord proposé un beat, enthousiasmant pour Cohen qui y a retrouvé quelque chose de « Plain Jane », d’A$AP Ferg. La voix de Meah Pace donne à la chanson une texture moite et fluide, évoquant Ferg ainsi que les anciennes compilations de Kompakt Records, qu’Andreoni écoutait au moment où il a trouvé le beat de la chanson.
« This is Pop 2 » a le même éclat qu’une chanson de Suicide. Ecrite par Nic Offer, la chanson est comme une brûlure à petit feu. Une boîte à rythmes pulse en arrière-plan, tandis que les synthétiseurs s’amplifient et qu’une guitare au milieu de la chanson donne au tout un caractère extatique et sensuel. « C’est de la pop direct dans tes oreilles / Tout ce qui compte c’est que t’aimes ça » (« This is pop and it goes in your ears / All that matters is u like it there »), comme dit le refrain de la chanson.
Les collaborations sont une autre marque de fabrique de !!!, une autre façon pour le groupe de se sentir constamment excité par le processus de découverte qui caractérise la création d’un nouvel album. Cela a commencé il y a dix ans, avec Thr!!!ler, un disque qu’on pourrait considérer comme un tournant dans la vaste discographie du groupe. Au cours des dix dernières années, le groupe a collaboré avec un grand nombre d’artistes. Ce désir d’expérimenter aux côtés d’autres artistes s’est tout spécialement concrétisé sur ce disque. « Les personnalités ressortent davantage », explique Offer. Elles se démarquent nettement. Quand Angelica Garcia chante sur « Un Puente », le décor change à nouveau. Nous ne sommes pas dans les lofts new-yorkais de jadis, nous sommes sur une plage de folie, les pupilles dilatées, à cent à l’heure.
Let It Be Blue est un disque sur la découverte, la mise à jour de nouvelles parties de soi, le fait d’y aller. Combien de disques de dance débutent sur un morceau acoustique ? Let It Be Blue le fait, le morceau s’appelle « Normal People » et c’est une mise en appétit à la Laurel Canyon. Si l’intention est sérieuse, la position est insolente au début d’un disque de dance. C’est comme faire un premier pas dans un nouvel endroit avant que tout ne change de façon étrange et ne s’imbrique parfaitement. C’est un peu comme une boîte de Pandore. Si on l’ouvre, le monde entier se transforme autour de nous. Il y a aussi de la mélancolie et de l’espoir sur ce disque. C’est de là que vient le titre. Au lieu du caractère définitif que revêt le lâcher prise (let it be), le bleu (blue) ajoute une forme d’acceptation, que les choses passent, que la mélancolie et la tragédie sont temporaires. Mais surtout, Let It Be Blue donne vraiment envie de se lâcher et de danser.