Helen Ganya
La grand-mère d’Helen Ganya est décédée au cours de l’été 2021. Le deuil frappe durement l’artiste, non seulement parce qu’il marque la perte de son dernier grand-parent, mais aussi parce qu’elle a l’impression que les liens qui l’unissaient à sa moitié thaïlandaise se désagrègent. Helen Ganya a grandi à Singapour, mais passait ses étés dans le nord-est de la Thaïlande, d’où sa mère est originaire, pour rendre visite à sa grand-mère. Où allaient maintenant aller tous ces souvenirs alors que la personne qui en était le centre a disparu ? Quelle était sa relation avec cet endroit sans ce ciment ? C’est ainsi qu’Helen Ganya a commencé à écrire pour tenter de surmonter cette épreuve. « J’ai pris mon journal et j’ai écrit tous les souvenirs de mon enfance en Thaïlande, les moments passés avec elle, mon grand-père, mes tantes, mes cousins et tout le reste », explique-t-elle. « J’ai eu ces instantanés de souvenirs que j’ai écrits parce que j’ai soudain paniqué : je me suis demandé qui j’étais alors ».
C’est pour cette raison qu’alors qu’Helen Ganya a beaucoup attendu la sortie de polish the machine (2022), elle travaillait déjà sur ce qui allait devenir son nouveau disque saisissant: Share Your Care. Elle sort de la musique depuis 2015 (anciennement sous le nom de Dog in the Snow). Dans ses précédents disques, elle a montré un penchant pour le rock sombre et artistique et les sons décalés, s’attirant les louanges de journaux tels que le Sunday Times, Uncut, Clash, Loud & Quiet et bien d’autres encore. Mais Share Your Care marque une nouvelle ère, en s’appuyant sur ses mondes sonores passés et en les intercalant avec des instruments traditionnels thaïlandais, ce qui donne un album cossu, lumineux, teinté de psychédélisme et plein de sentiments.
Helen Ganya avait auparavant hésité à puiser dans son patrimoine pour composer sa musique, se méfiant quelque peu du regard orientalisant de l’Occident. Mais après avoir rêvé de sa grand-mère décédée et jeté les bases de ce qui allait devenir le titre ‘Horizon’, elle a réalisé qu’elle ne voulait pas non plus se restreindre. Puis elle a commencé à composer une série de nouvelles chansons, chez elle, appréciant la catharsis du processus, utilisant le MIDI comme moyen temporaire de transmettre le timbre des instruments thaïlandais, avant d’apporter ces premières incarnations à son coproducteur habituel, Rob Flynn. Ils se sont rendus au temple Buddhapadipa – le temple bouddhiste thaïlandais de Wimbledon – où ils ont rencontré l’instrumentiste Artit Phonron, qui joue du ranat ek, du saw duang et du khim, puis ont travaillé avec Chinnathip Poollap, un musicien thaïlandais qui joue du hautbois thaïlandais ou « pi ». Helen Ganya a également fait appel à l’artiste anglo-thaïlandais John « Rittipo » Moore pour jouer des flûtes et du saxophone sur l’album.
Le résultat est un disque foisonnant, débordant de générosité et doté d’une force cinématographique. La chanson titre est l’une des premières sur lesquelles Helen Ganya a travaillé, mêlant son propre style aux sonorités thaïlandaises. Cette chanson festive s’inspire du souvenir qu’elle a gardé des femmes âgées de sa famille – sa mère, ses tantes, sa grand-mère décédée – venues se recueillir sur la tombe de son grand-père, en apportant des offrandes (la vidéo, réalisée par Am Picha, présente une histoire similaire). « J’ai eu l’impression de faire un voyage magique en suivant la piste pour le retrouver », dit-elle. « Il s’agit simplement d’essayer d’honorer ses ancêtres tout en sentant qu’ils sont là. Partager sa peine, partager ses soins, ne pas les oublier, leur apporter de la nourriture et de l’eau ». D’une manière générale, dans le prolongement des thèmes de son dernier album, il s’agit d’un autre rappel de sa philosophie: « Je pense que la façon dont nous vivons dans la société moderne est très individualiste et peut être très solitaire. Pour moi, la communauté et la responsabilité collective sont la meilleure façon d’être dans une société ».
Ailleurs sur l’album, le khim flottant et brillant survole ‘Fortune’, une chanson pour sa mère (« pour toutes les mères diasporiques », dit-elle en plaisantant), en pensant aux sacrifices que font tant de mères asiatiques et en leur donnant de la valeur, de l’appréciation et de la reconnaissance. Sur ‘Chaiyo !’, elle se souvient de son grand-père qui regardait la boxe thaïlandaise à la télévision et qui criait « chaiyo ! », littéralement « hourra ! » – et utilise ce souvenir pour réfléchir à la réincarnation et aux membres de sa famille qu’elle n’a jamais connus. ‘Barn Nork’ – une expression utilisée pour décrire les étrangers, ce dont sa famille thaïlandaise l’a parfois qualifiée – est le seul titre chanté en thaïlandais de l’album. Il embrasse avec humour ce qu’Helen Ganya décrit en riant comme étant « un noob ». Le musicien britannico-nigérian Tony Njoku s’est joint à elle sur ‘Myna’, le dernier morceau, pour jouer le rôle de son défunt grand-père, avec des lignes dépouillées mais puissantes telles que « How did you live the way you did? » (Comment as-tu vécu comme tu l’as fait ?) – un rappel des conversations laissées trop tard, et du chagrin qui a façonné cet album.
Mais les fins peuvent donner lieu à de nouveaux départs. Sur l’album kaléidoscopique Share Your Care, Helen Ganya chante la perte de personnes et de lieux, de notre mouvement et de nos ancêtres, tout en nous encourageant à embrasser la vie et à nous serrer les uns contre les autres.