Nina Hagen
Nina est multiple. Elle existe sous de multiples formes et tant d’incarnations… tant d’images, de moments, de voix et de chansons ; tant de visages… un kaléidoscope de visages, depuis cinq décennies. Il en va de même dans le clip de son nouveau single, « 16 Tons ». Nina Hagen est une légende, – « marraine du punk rock », activiste, personnage de fiction, interprète phénoménale, disciple de Jésus, émissaire extraterrestre et fine connaisseuse de Brecht. Nina est l’alpha et l’oméga. Elle abat les murs, et recommence, encore et encore. Nina est multiple, mais il ne saurait y en avoir qu’une. Elle est impossible à copier.
Nina Hagen, le plus bel électron libre à cheval entre punk et pop, Est, Ouest et cosmos, que l’Allemagne ait produit, est enfin de retour. UNITY, son nouvel album, sort le 9 décembre 2022 chez Grönland Records. C’est son premier depuis VOLKSBEAT en 2011. Le moment était des plus propices.
Les douze chansons de UNITY nous emportent dans une épopée sauvage à travers une jungle musicale dense. Une country chantée sur des grooves planants au synthé, et un pop rock métissé de dub et de slow funk sexy. Certaines des chansons parlent de miracles bibliques, d’autres sont des tirades politiques enflammées, et puis il y a les reprises : un classique de la country, un tube de Sheryl Crow et même une chanson de Bob Dylan avec des paroles en allemand (« Die Antwort heißt ganz allein der Wind »), comme seule une chanteuse de son envergure peut s’y risquer. UNITY offre un mélange protéiforme de textures, de samples et de sons du quotidien. Au milieu de ce riche feuilleté de sons et de thèmes, il y a bien sûr cette voix, qui passe en un clin d’œil du lyrique au diabolique, capable d’atteindre des aigus insensés avant de s’effondrer en mugissements d’une profondeur impressionnante, comme si l’artiste cherchait la confusion des sexes. Nina Hagen crie et siffle, éructe les mots et exécute des récitatifs, d’une voix rauque qui résonne dans les distorsions électroniques. Elle se lance dans des dialogues et des soliloques musicaux. Comme si sa voix trouvait écho dans notre époque depuis un autre monde.
En bref, UNITY est un spectacle mordant, chaleureux et varié. A 67 ans, Nina Hagen est plus prolifique que jamais.
Et parce qu’elle n’a jamais perdu de temps à jouer la sécurité ou la facilité, l’album décolle à toute vitesse. « Shadrack » est un lumineux morceau power pop au rythme entraînant, entre chant et rap. Il raconte un épisode de la Bible ponctué par ces mots : “That was a goodnight story for the soul about God’s kindness.” (« C’était une histoire du soir pour l’âme parlant de la bonté de Dieu. ») Nina Hagen, de confession protestante depuis 2009, cite un spiritual pop du compositeur américain Robert MacGimsey racontant l’histoire de trois Hébreux que Dieu sauve du feu. Après la marche de ces hommes à travres les flammes, l’album se poursuit avec « United Women of World », un hymne reggae punk féministe, conçu avec la chanteuse jamaïcaine Liz Mitchel et l’icône new wave Lene Lovich. Cette chanson comporte un message qu’on a peut-être souvent entendu déjà, mais qu’on ne répétera jamais assez : “It’s all for one and one for all”, – « Un pour tous et tous pour un. »
Avec son premier single, « 16 Tons », Nina Hagen se charge d’un lourd fardeau : “You load 16 tons, what do you get? / Another day older and deeper in debt.” (« 16 tonnes sur le dos et qu’est-ce qu’on gagne ? / Un jour de vie en moins, un jour de dettes en plus. ») C’est sa version du vieux classique country-folk américain sur les mineurs du Kentucky dont la vie revenait à se tuer à la tâche et à surmonter des difficultés constantes. Nina Hagen chante l’inéluctable désespoir de la vie quotidienne – “muscle and blood and skin and bones” (« muscle et sang et peau et os ») – de sa voix profonde, autoritaire et funestement vibrante. On y retrouve une country moderne, pleine de réverbérations imprévisibles, un groove inébranlable et des guitares électriques sans fioritures. « 16 Tons » téléporte la chanson de mineurs à connotation sociale, pleine de crasse et de suie, de 1947 à 2022. C’est comme si cette chanson attendait Nina Hagen. L’artiste confère à des paroles d’une actualité quelque peu effrayante la gravité d’une chambre d’écho pour les siècles à venir.
« Unity » est une collaboration avec le pape du funk George Clinton. C’est une chanson dub étincelante et d’une fluidité merveilleuse, qui rend hommage au mouvement Black Lives Matter. Les deux artistes ont écrit cette chanson en réaction immédiate à la mort de George Floyd. Les mélodies au synthétiseur ondulent comme de douces vagues tandis que Nina et George chantent contre la haine : “Positive vibrations surround the world’s nations!” (« Des ondes positives baignent les nations du monde ! ») La chanson « Atomwaffensperrvertrag », quant à elle, est explicitement politique. Nina Hagen y remixe deux extraits de discours samplés : celui qu’elle a prononcé en 2009 lors du Festival de la liberté devant la Porte de Brandebourg, et un discours de l’homme politique américain Dennis Kucinich à l’ONU. Avec ses guitares country, ses voix brouillées et ses percussions frénétiques, ce morceau est un vivant tour de force.
Une chose n’a pas changé depuis le début de sa carrière. Nina Hagen est radicale. Elle essaie de nouvelles choses. Elle dit ce qu’elle pense. Elle ne connaît aucune limite artistique ou idéologique. Le divertissement et la sincérité du message vont toujours de pair pour elle.
Nina Hagen est multiple, oui. Mais elle est unique.