Oscar Lang
Pour son deuxième album, l’artiste londonien Oscar Lang imaginait un mélange de grooves eighties, de pop indé et de swing disco. Or l’album est devenu tout autre chose. La rupture avec son amour de jeunesse a fait basculer Lang, tout en provoquant un changement de cap radical après son premier disque Chew The Scenery (2021), au rock duveteux teinté de psychédélisme, en le conduisant à la période la plus créative et la plus fructueuse de sa jeune carrière. « Cette rupture a tout changé, explique-t-il. Je me suis mis à écrire des ballades dessus et j’ai compris que c’était ce que je voulais faire. Pendant un moment, j’ai fait des chansons rock à la guitare en essayant d’être une rock star, mais je me suis rendu compte que j’aime vraiment les ballades. Mes inspirations majeures sont les gens qui se mettent simplement au piano et chantent une chanson à laquelle tout le monde peut s’identifier. »
Ce nouveau cap a donné naissance à Look Now, un album étonnant qui fait passer les précédents travaux de Lang pour un coup d’essai. Chew The Scenery et les trois premiers EP avaient dévoilé un auteur-compositeur au talent rare, mais le jeune homme pose ici un jalon capital, avec un album mêlant des accroches espiègles, un lyrisme poignant, des vagues orchestrales, une instrumentation pop baroque. Le nouveau disque est dense mais jamais pompeux, à la fois intimiste et épique. Un vrai manifeste esthétique.
Sur le plan sonore, Lang voulait aller à l’encontre du processus créatif de Chew The Scenery. « Pour cet album, [le coproducteur] Rich Turvey et moi nous nous sommes rendus dans un grand studio, nous y avons passé un mois, avons tout enregistré un million de fois et nous sommes assurés que tout était parfait avant de passer à autre chose. » Cette fois, ils avaient tout ce dont ils avaient besoin dans une seule pièce à l’intérieur du centre Elevator Studios de Liverpool, un QG autonome à partir duquel le paysage sonore de Look Now a été élaboré. « J’adore ça parce que l’album sonne vraiment comme la pièce, c’est le son indescriptible d’un espace, et ça m’a rappelé comment j’ai commencé, quand tout était maison et un peu crade. »
Lang s’est plongé dans les ballades au piano de maîtres du genre comme Elton John, Billy Joel, Michael McDonald, Paul McCartney, Hall and Oates et d’autres, en y associant une énergie inspirée des explorateurs du rock américain Here We Go Magic, de Papooz et de la musique chorale qu’il entendait à l’église quand il était petit.
En regardant en arrière, Lang s’est rendu compte que les chansons auxquelles les gens s’étaient le plus attachés étaient ses plus personnelles (et non les récits fictifs qu’il avait tendance à tisser), comme son EP To Whom It May Concern, qui raconte la première fois qu’il est tombé amoureux, ou son single She Likes Another Boy, référence sur TikTok pour tous ceux qui ont un coup de foudre non réciproque. « Ça me fait chaud au cœur de savoir que mon expérience peut s’appliquer à d’autres personnes, alors j’ai voulu le refaire », explique-t-il.
De toute façon il n’avait pas d’autre choix que d’écrire sur lui-même. La rupture a plongé Lang dans une période de dépression et de fragilité qui l’a non seulement poussé à digérer la perte de sa petite amie, mais aussi à affronter la tragédie du suicide de sa mère quand il avait sept ans. Mettre tout ce qu’il pouvait dans ces chansons était le seul moyen de s’en sortir. « Pour moi, la musique est une forme de thérapie, explique-t-il. Quand je vais mal, je peux faire de la musique et ça me soulage pendant quelques heures. Avec elle je peux m’asseoir, fermer les yeux et m’évader pendant quelques heures. C’est pourquoi une grande partie de cet album est émouvante pour moi. Une chanson comme “On God” est très liée à ma mère et a été un véritable processus thérapeutique. Comme si je parlais pour la première fois aussi honnêtement de ce que j’éprouvais. »
Au fur et à mesure que les chansons affluaient, Lang s’est rendu compte qu’une grande partie de son énergie créatrice provenait de ses états d’âme. « Ce que je veux dire par là, confie-t-il, c’est que quand je suis dans des états émotionnels extrêmes, quand je tombe amoureux et que je suis super heureux, ou que je suis vraiment au plus bas et que j’ai le cœur brisé, ce sont les moments où je me sens le plus créatif. J’ai envie d’écrire des chansons sans arrêt et les idées n’arrêtent plus. Il y a des choses qu’on veut dire, mais la seule façon pour les dire, c’est d’écrire une chanson. »
Les morceaux de Look Now ont principalement été écrits au piano, le premier instrument que Lang a appris à l’âge de 8 ans (il n’a touché une guitare que six ans après, lorsqu’il est tombé amoureux du jeu vidéo Guitar Hero). Deux pianos ont accompagné l’élaboration de Look Now, celui de l’Airbnb qu’il a loué à Liverpool pendant l’enregistrement, et celui que sa mère lui avait offert et qui se trouve dans la maison familiale, où il est retourné après sa rupture. « J’ai ce piano depuis mon enfance et jouer dessus me donne l’impression d’un lien étrange avec ma mère », explique-t-il.
Le piano de son Airbnb a sauvé Lang des longues soirées passées seul après le studio. « C’était la fin janvier à Liverpool, il gelait et il pleuvait à verse, se souvient-il. Je m’asseyais au piano pour écrire des chansons, parfois je chantais en pleurant. »
C’est à ce moment-là qu’a été écrite la mélodie chaleureuse et triste de la première chanson de l’album, « A Song About Me ». « C’est la chanson qui a vraiment tout changé, dit-il. Son ex lui avait demandé de ne pas écrire sur elle, alors c’est ce qu’il a fait, et à la place il a écrit une chanson sur elle lui demandant de ne pas écrire sur elle. « Elle ne l’a pas encore entendue, dit-il. Vous savez, quand on écrit un EP sur le fait de tomber amoureux, on fait aussi des chansons sur le fait d’avoir le cœur brisé ! »
Ce titre donne parfaitement le ton de Look Now, où la musique est souvent d’une nature aérienne et légère qui contrebalance les sujets difficiles. Les cordes pop psychédéliques de « Everything Unspoken » mettent en valeur les talents de producteur de Lang, avec leur aspect à la fois trépidant et minimaliste. L’irrésistible « Crawl » saupoudre ses contemplations d’une mélodie enjouée, tandis que « Leave Me Alone » décrit une nuit épouvantable avec un sarcasme à la Nilsson.
Ce qui fait le charme de cet album, c’est que « c’est sérieux mais un peu candide aussi ». « Blow Ur Cash » décrit comment contrecarrer la perte de cheveux causée par les problèmes psychologiques, mais à la MGMT. « Circle Line », très Beatles dans son style lounge, est un hommage à la Londres natale de Lang, tandis que les grooves amples de « Take Me Apart » donnent l’impression d’un atterrissage. Les quatre derniers titres, chacun avec ses propres nuances, forment une série de ballades émouvantes : austère majesté des accords mineurs de « On God », folk psychédélique panoramique de « One Foot First » reflétant les dommages collatéraux du suicide, avant « When You Were A Child », final enveloppant de type gospel pleurant la perte de l’innocence. Avec ses cordes qu’on doit à Owen Pallett, et la voix impressionnante de Molly Payton, c’est une façon monumentale de conclure l’album. « J’ai choisi de terminer l’album sur cette chanson parce qu’elle résume tout, explique Lang. Les émotions qu’on retrouve dans chacune des chansons concernent le fait d’être adulte, ce sont des choses qu’on ne ressent pas ou dont on ne se préoccupe pas quand on est enfant. Le thème principal de l’album est la solitude, toutes les émotions que j’ai ressenties au moment de cette rupture. Ça a été l’année la plus difficile de ma vie, jamais je n’ai été plus bas. »
Il s’en est sorti grâce à un album dont il est « extrêmement fier ». Sans rien cacher. « C’est la raison pour laquelle j’ai appelé l’album Look Now, dit-il, parce que j’avais l’impression que s’il fallait regarder, il fallait le faire maintenant, parce que c’est ici que je suis chez moi, c’est comme ça que je me sens chez moi. Je suis fier que cet album ait été la lumière au bout du tunnel. » C’est un travail remarquable, confirmant à quel point Oscar Lang est un artiste fascinant.