River Into Lake

Rise & Shine

Sortie le 23 février 2024

Humpty Dumpty Records

Boris Gronemberger est un personnage incontournable de la scène musicale belge. Musicien touche à tout pour les Girls In Hawaii, Françoiz Breut ou encore Castus, il mène également, depuis vingt ans, une carrière d’auteur-compositeur reconnue. D’abord sous le nom V.O puis, depuis quelques années, celui de River Into Lake, nouvelle mue d’une œuvre personnelle au long cours.

Comme pour ses prédécesseurs, Boris a composé et enregistré ce nouvel album seul, entre une caravane isolée dans les Ardennes belges et une maison aux abords de Bruxelles.

Deux îlots, deux refuges où prendre le temps de faire évoluer sa musique, après deux disques ayant déjà balisé un univers à l’élégance toute personnelle, entre pop orchestrale et electronica raffiné.

 

Dès l’introductif et présentatif ‘Be Confident’, on retrouve cette signature musicale, le choix d’harmonies vocales complexes, des sonorités éthérées mêlées à des arrangements plus rock. Comme sur Let The Beast Out (2019) et The Crossing (2020), l’instrumentarium de ce disque se révèle foisonnant, que cela soit dans le registre électronique ou acoustique. Synthétiseurs et boîtes à rythmes se combinent constamment aux guitares, percussions, instruments à vents et à cordes, comme sur le très tubesque ‘Beside You’, deuxième morceau de l’album.

Cette boulimie des formes et des matières pourrait mener à saturation. Mais Boris, avec l’élégance de l’enchanteur, déjoue le piège du trop, préférant nous désorienter, nous surprendre et nous séduire. On voyage, d’une partie à l’autre de ce disque, entre synth-pop et ambient, rock répétitif et ambiances jazzy au sein même des chansons. A l’image de ‘Drawing Cards’, morceau de bravoure mélodique du disque ou de ‘Don’t Drive into the Tree’, sublime ballade pop dont la forme et l’écriture initiales, après s’être développées, explosent en plein vol dans un balai électronique et bruitiste, se concluant dans une atmosphère spectrale, parmi des sons d’oiseaux et d’aboiements.

 

Si l’aspect orchestral reste donc un fil rouge de ces nouvelles chansons, les influences atmosphériques se font plus présentes, les trames rythmiques plus abstraites, la production plus synthétique. Moins bouillonnante qu’auparavant, la musique de Boris semble apaisée, accomplie et, par là, plus directe. Certains partis pris, notamment la place du chant sont plus assumés (‘Let Me Watch TV’, balade électronique rappelant le Lambchop vocodé de ‘Flotus’). On pense quelquefois à Robert Wyatt pour les harmonies vocales jalonnant ce disque, à Talk Talk bien sûr, dont le Colour of Spring paraît une influence essentielle. Mais aussi à Grizzly Bear, à Efterklang ou Sufjan Stevens ; autant d’artistes qui, comme Boris, créent une pop polycéphale. A leur manière, la musique de River Into Lake fonctionne par bouleversement, superpose et multiplie ses canevas, entre sources acoustiques et magma électronique, songwriting classieux et expérimentations sonores.

 

Sans être un album concept, Rise & Shine n’en est pourtant pas moins un manifeste de cohérence et démontre l’importance du tout, de la narration convexe qu’on peut attendre d’un album de pop ambitieux. C’est aussi et surtout un petit miracle d’écriture raffinée, un disque de chevet qu’il convient de parcourir dans son ensemble pour se laisser acheminer délicatement, vertigineusement, vers des sommets d’ingéniosité et de beauté.

 

Romain Benard