Teenage Fanclub
Le premier son qu’on entend est un larsen tenu, grâcieux comme une libellule en vol stationnaire, avant qu’un riff acoustique ne s’en échappe en spirale ascensionnelle. C’est bienfaisant et solaire, comme une brume de fin d’été qui floute les formes à l’horizon. Lorsque les voix se mêlent à la musique, la chorégraphie est parfaite, fondue en une seule mélodie. “It’s time to move along / and leave the past behind me…”, – « Il est temps d’avancer / et de laisser le passé derrière moi… » Le message est clair : ne pas regarder en arrière, aller de l’avant.
« Foreign Land » est le titre d’ouverture du douzième album studio de Teenage Fanclub, Nothing Lasts Forever. Ce morceau – tout comme l’ensemble de ce disque aux mélodies splendides – est le son d’une fin de saison, des derniers jours de chaleur de l’année, alors que la nuit commence à tomber et qu’on se met à cogiter non sans mélancolie.
Cette réflexion traverse tout l’album, par exemple sur le folk rock automnal de « Tired Of Being Alone », qui déplace Laurel Canyon de Los Angeles au cœur de la Valley de la Wye, à la frontière sud du Pays de Galle et de l’Angleterre. Ou encore sur « Self-Sedation », référence à William Blake, ou sur l’ultime chanson de Nothing Lasts Forever, « I Left A Light On », et l’étincelle d’espoir qu’elle voit subsister à la fin d’une relation amoureuse.
L’un des thèmes récurrents de Nothing Lasts Forever est la lumière, métaphore de l’espoir et destination ultime. C’est toutefois une pure coïncidence si les compositeurs du groupe, Norman Blake et Raymond McGinley, ont abordé des thèmes similaires.
Raymond : « On ne parle jamais de ce qu’on va faire avant de commencer l’enregistrement d’un disque. On ne planifie pas beaucoup de choses, hormis les détails pratiques concernant le lieu et le moment où on va enregistrer. Cette histoire de lumière est totalement fortuite, on s’en est aperçu uniquement après avoir terminé la première moitié des chansons. L’album donne l’impression d’être réfléchi, et je crois que plus on procède comme ça, plus on se sent à l’aise pour aborder une certaine mélancolie, pour ressentir et exprimer de tels sentiments. L’enregistrement des voix est un processus assez intense. On est en contact étroit dans ces moments-là. Quand on passe du temps à proximité, les idées déteignent inévitablement. »
Norman : « Ces chansons sont vraiment personnelles. On vieillit, on se dirige vers l’armoire et on sort le costume noir plus souvent. Les pensées sur la mort et l’idée de la lumière ont dû pas mal nous trotter dans la tête. Les chansons du dernier album étaient influencées par l’échec de mon mariage. C’était cathartique de les écrire. Les nouvelles chansons reflètent ce que je ressens aujourd’hui, maintenant que je suis sorti de cette période. Elles sont plutôt optimistes, dans l’acceptation d’une situation et de toute l’expérience qu’apporte cette acceptation. Quand nous écrivons, c’est le reflet de nos vies, qui sont plutôt ordinaires. Nous ne sommes pas des gens extraordinaires, et les gens normaux vieillissent. Il y a beaucoup à écrire sur le quotidien. J’adore lire Raymond Carver. Très souvent, il ne se passe pas grand-chose dans ces histoires, mais elles parlent d’expériences vécues. »
Alors que les voix et les finitions de Nothing Lasts Forever ont été enregistrées chez Raymond à Glasgow, la musique a quant à elle été enregistrée au cours d’une intense période de dix jours dans la campagne galloise, aux Rockfield Studios, près de Monmouth, à la fin du mois d’août. Cette atmosphère imprègne le disque d’une brise légère, de ciel à perte de vue, de beauté, et d’espace.
Raymond : « Nous aimons transmettre quelque chose de l’endroit où nous allons, et on entend clairement l’empreinte de Rockfield sur l’album. Nous y avons enregistré notre album Howdy à la fin des années 90. Avant, j’étais un peu réticent à l’idée d’y aller, car tout le monde semblait enregistrer là-bas, surtout quand on signait chez Creation, mais je me suis dit que j’allais jeter un coup d’œil à l’endroit. Quand j’y suis allé, j’ai adoré le fait qu’il n’y ait aucune trace de ceux qui sont passés par le studio. La seule référence musicale est une photo de Joe Meek sur le mur du bureau. Quoi qu’il en soit, plus de vingt ans après notre première visite, on a décidé d’y retourner. Quand on est là-bas, on a l’impression d’être chez nous. On ne sait pas comment décrire notre propre musique, mais peut-être que le fait d’avoir enregistré à Rockfield à la fin de l’été donne une teinte bucolique à cet album. »
Le groupe qui a enregistré Nothing Lasts Forever – Blake, McGinley ainsi que Francis Macdonald à la batterie, Dave McGowan à la basse et Euros Childs au clavier – est arrivé au studio résidentiel sans plan préétabli. Leur confiance et leur facilité à travailler ensemble ont permis à l’album de voir le jour en un rien de temps.
Raymond : « Quand on nous a proposé de passer dix jours à Rockfield, on n’était pas prêts dans notre tête, mais on s’est dit “Oh et puis merde” et on a foncé. Si on attend que les étoiles s’alignent, on risque de rien faire finalement. On est arrivés, on a travaillé sur ceratines idées et on en a trouvé d’autres pendant qu’on était là-bas. La chanson “Foreign Land” est née en studio. Si on n’était pas allé là-bas par hasard, cette chanson n’existerait pas. On aime laisser les choses se faire. Ça nous inspire quand on a des délais. On aime se mettre sur la sellette et voir ce qui se passe. En général, on s’en sort. Cet album c’est le cliché de la page blanche, qu’on a heureusement réussi à remplir. »
Norman : « On joue les uns avec les autres depuis si longtemps, et j’inclus Euros car lui et moi on joue ensemble depuis près de quinze ans [Le duo a formé le groupe Jonny et sorti un album chez Merge en 2011]. Dans le passé, le réalisateur était celui qui avait écrit la chanson. “C’est comme ça que j’entends la batterie, si tu pouvais jouer de la basse comme ça…” On ne procède plus de cette manière aujourd’hui. Raymond ou moi-même on amenait l’idée, et tout le monde écoutait et jouait ce qui convenait. On jouait pendant deux heures et on tenait l’arrangement. Il y a une véritable confiance dans le fait de se connaître depuis si longtemps, une sorte de télépathie. On sait tous où se situe notre place dans le puzzle. »
Raymond : « L’une des choses que j’aime dans la musique, c’est qu’elle est au-delà du langage. Et qu’elle échappe à l’analyse. On est musiciens, alors on joue et ce qui doit arriver arrive. C’est la définition même du musicien. Si on commence à donner des instructions rigides aux gens, la magie disparaît. Tous les membres du groupe sont suffisamment performants pour réagir dans l’instant, du coup la plupart des arrangements des chansons se font à l’instinct. »
L’un des textes les plus frappants de l’album se trouve sur la dernière chanson, « I Will Love You », splendide drone acoustique de sept minutes, rêverie quasi krautrock qui voit plus loin que la fureur et la pensée unique de notre modernité, vers un temps où “the bigots are gone / after they apologise / for all the harm that they’ve done”, – « les bigots sont partis / après avoir demandé pardon / pour tout le mal qu’ils ont fait. »
Raymond : « A bien des égards, l’opposition entre d’un côté les gentils et de l’autre les méchants s’est emparée du monde. “I Will Love You” est une recherche de positivité, tout en étant parfaitement fataliste. Cette merde existera toujours, qu’est-ce qu’on va faire avec ça. Alors que j’étais sur ma guitare, ces mots me sont venus en tête : “I will love you / until the flags are put down / and the exceptionalists are buried under the ground” (« Je t’aimerai / jusqu’à ce que les drapeaux soient déposés / et que les exceptionnalistes soient enterrés »). J’ai commencé à m’interroger sur tout ça et où ça pouvait nous mener. Le truc c’est de chercher du positif à l’intérieur même d’une vision fataliste et négative de la nature humaine. »
Chercher le positif face aux sombres réalités du XXIème siècle, ça fait très Teenage Fanclub, – un groupe qui œuvre en faveur du bien depuis plus de trois décennies et qui peut sans effort transformer la mélancolie en harmonie sublime.