Yves Jarvis
Tout s’effondre en un seul point. Ce point est à la fois une tête d’épingle et une porte. Les lois de la physique sont modifiées, parfois même complètement bouleversées. L’endroit est pourtant familier : comme la voix maternelle, elle nous invite de manière rassurante à nous avancer vers l’horizon. « Ne résistez pas ! », nous rappelle-t-on, – mais comment faire face à la musique ? Elle nous éblouit comme le soleil et nous sommes totalement exposés. Yves Jarvis nous rappelle que toute chose digne de ce nom est une contradiction en soi et qu’il faut renoncer à la volonté de contrôle.
The Zug est un exercice, aussi l’action est capitale. Des milliers de plateaux s’étendent hors d’atteinte et à perte de vue… mais par la force qu’offre l’espoir, nos bras restent tendus, – pour atteindre le ciel. Comme souvent chez Jarvis, les idées préconçues ne jouent que peu ou pas de rôle dans le processus d’enregistrement, même si des limites sont posées et respectées. Ces cadres géométriques le propulsent dans l’action sans réflexion préalable, comme dans Oblique Stragtegies de Brian Eno. Nous savons tous exactement comment procéder… Et malgré notre nécessaire abandon, une liberté immense nous est accordée.
L’esprit d’aventure imprègne chaque facette de The Zug. Sur des sommets vertigineux et dans la chaleur torride, Jarvis nous guide de façon déroutante à travers à travers des passages étroits ouvrant sur l’immensité. Les conventions de structure sont subverties mais pas ignorées. Canoniques par le choix d’une instrumentation rock traditionnelle, les outils familiers scintillent de manière inédite, riches de nouvelles perspectives à découvrir.
Métamorphique, The Zug a des reflets irisés qui réfractent un spectre de teintes depuis une source unique. La perspective adoptée définira ses spécificités, avant dissolution complète. L’album est pourtant solidement ancré. Sur des fondations symboliques éprouvées, Jarvis crée un mythe pour toute une nouvelle génération. Nous sommes invités à nous élever pour assister aux enjeux colossaux qui agitent les cieux, et à descendre jusqu’aux bactéries d’où nous procédons.
Comme chacune des nombreuses créations de Jarvis, ce projet est entièrement autoproduit. De l’instrumentation à la réalisation en passant par l’artwork, l’autodidacte a façonné un bastion propice à une exploration d’avant-garde où tout est permis. Ces moyens créatifs fusionnent en une forme supérieure de conscience, figurant la danse cosmique qui est la nôtre. Avec l’exubérance et le style juvéniles qui le caractérisent, l’artiste fait penser au Bowie du milieu des années 1970, alors qu’il se fait chanteur d’opéra rugissant avec une conviction et une détermination palpables. The Zug est tantôt grand spectacle, tantôt murmure. De la naissance à la mort, nous festoyons et pleurons. Ici, toute cette gamme de sentiments est condensée en un seul motif. Les strates de l’être sont enfourchées pour mettre en évidence les relations dans lesquelles nous sommes engagés. Jarvis fait habilement appel à nos sens, sans nous prendre de haut.